• En regardant à travers le hublot, on pouvait voir la forêt qui s'étendait à perte de vue, berceau terrestre de la vie primitive. Le pilote ne voulait pas voler trop bas pour ne pas effrayer les oiseaux. Cependant, à cette altitude, je ne pouvais pas commencer mon travail de repérage. C'est alors que nous vîmes apparaître, noyée dans l'imperméable mer de végétaux, une piste d'atterrissage.
    L'avion commença alors sa descente et je vis, non loin de la route, deux hommes qui profitaient de l'abri offert par les feuillages.
    Lorsque je descendis de l'avion les deux hommes vinrent à ma rencontre. Un des deux portait un uniforme d'officier anglais et l'autre était un petit homme noir.
    « Professeur Edward Smith, commença le militaire, Colonel Jornstone, c'est moi qui commanderai les opérations aériennes. Voici Ouarane, il nous servira de guide dans la forêt. »
    Le Pigmé baissa humblement la tête, je fis de même. Il ne portait qu'une vieille chemise verte, un short brun et des sandales de cuir usé, tranchant avec ma chemisette et mon pantalon blancs encore immaculés. Il prit la tête sur le sentier qui s'enfonçait dans la forêt ; je le suivais de prêt, le colonel fermant la marche.
    La forêt, qui semblait si paisible vue du ciel, était en réalité un véritable enfer terrestre : des oiseaux caquetaient, des chimpanzés répondaient en hurlant et pour accompagner ce bruit épouvantable, l'atmosphère était humide et chaude, rendant la respiration très difficile. De plus, à chaque fois que Ouarane apercevait un danger potentiel, il nous prévenait, c'est ainsi qu'il nous sauva de deux pythons et de trois autres petits serpents venimeux.
    Sa petite tête chauve me parut dès lors bien plus sympathique. Dans ce genre de situation, il est bon d'avoir une personne connaissant le terrain
    Soudain, il s'arrêta. Sans faire de bruit, il m'invita à venir avec lui dans une petite clairière, le colonel préférant rester en retrait. C'est à ce moment que je les vis pour la première fois. Une famille de chimpanzés était là. Les petits couraient sur le dos de leurs mères tandis que les femelles mordillaient des branches longues et fines ou arrachaient les feuilles. Nous les contournâmes alors pour ne pas les déranger. Ce n'est pas eux qui nous intéressaient, nous ne voulions que les mâles. Nous nous enfonçâmes encore dans la forêt.
    Cela faisait plusieurs heures que nous marchions tout en tailladant les branches basses, le soleil devait maintenant être au zénith. Je commençai à fatiguer, mais Ouarane m'interdit de me reposer. Dans cette forêt, se laisser distraire quelques minutes revenait à laisser son corps à un serpent. Je me retournai pour voir si le militaire s'en sortait mieux que moi. Il essayait de se frayer un chemin jusqu'à nous à grands coups de machette. Notre guide ouvrait un passage pour une personne de sa taille ; n'étant pas très grand moi-même, je n'avais qu'à me baisser légèrement pour le suivre, mais la forte carrure de l'officier ne lui permettait pas d'avancer aussi facilement. Je lui faisais signe de faire moins de bruit quand je bousculai Ouarane qui s'était arrêté. Devant nous se dressait un mur de feuilles ; néanmoins, on pouvait observer à travers par de petits orifices. On pouvait les voir, derrière le branchage : une dizaine de chimpanzés mâles étaient regroupés autour d'un arbre qui portait de gros fruits cramoisis.
    Chaque singe avait à la main une sorte de lance ; elle était faite à partir d'une branche droite, l'extrémité étant formée d'une pierre pointue. Les deux parties étaient reliées par des filaments de bois, sûrement produits par les femelles en mordillant des branches souples. Les chimpanzés se servaient de leurs lances pour séparer les grappes des branches, puis pour ouvrir les fruits, dont ils pouvaient ainsi déguster la chair. Pendant que nous nous émerveillions devant ce magnifique spectacle de la nature, le colonel me fit reprendre mes esprits :
    «  Alors, quels sont les ordres ?
    Nos indications étaient exactes, maintenant que nous en avons la confirmation, nous n'avons plus rien à faire dans les parages. Je veux un nettoyage de la zone sur dix kilomètres tout autour de notre position. Dans cinq heures exactement, je ne veux plus rien voir de vivant. »
    A partir de ce jours-là, nous n'avons plus entendu parler de singes évolués. Darwin avait raison, toutes les espèces évolues pour pouvoir s'adapter à leur environnement, mais il est aussi vrai que chaque espèce veut avoir la suprématie sur les autres, et il serait imprudent de notre part de laisser une espèce venir nous menacer après deux cent mille ans d'évolution humaine...


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