• un an de grandes vacances
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    Enfin, comme nous manquions d'artillerie à longue portée, nous avions construit sous la direction de M. Dalbret, une machine de guerre moyenâgeuse : cela se nommait à l'époque un "trébuchet". On avait choisi un long cocotier bien flexible, posé horizontalement au bout de quatre pieds réunis à leurs sommet, et où il pouvait pivoter. A l'extrémité de la partie avant, qui dépassait les pieds d'un quart de sa longueur totale, était solidement fixé un bloc de rocher, faisant contrepoids. A l'autre extrémité, qui était la partie la plus longue et la plus fine du tronc, on avait pratiqué un creux évidé comme la tête d'une louche. On ramenait au sol, à la force des bras et au moyen des cordages, cette extrémité où l'on posait le projectile. Puis, au commandement, on lâchait les cordes d'appel, et le contrepoids agissant, le bout de l'énorme cuillière décrivait dans l'air une parabole, envoyant au loin son boulet.
    Ce travail nous enthousiasmait. Les indigènes furent émerveillés en constatant aux essais, que le trébuchet arrivait à lancer à près de deux cents mètres des blocs de pierre d'un poids respectable. Il suffisait d'orienter l'appareil et de doser les projectiles pour calculer presqu'à coup sûr la trajectoire et le point de chute. Les opérations de balistique avaient naturellement été dévolues à notre ingénieur-chef Langlois.
    Mais il convenait également d'organiser l'armée. Les Maoris étaient des gens doux et pacifiques. La plupart, sauf quelques pêcheurs ou chasseurs, ne possédaient même pas d'armes. Ils étaient pourtant extrêmement courageux et habiles, pleins de bonne volonté et d'intelligence.
    Hama-Koua avait recencé tous les hommes susceptibles d'être appelés sous les drapeaux, c'est-à-dire, âgé de 16 à 40 ans. Inutile de vous dire que ces limites de la conscription étaient assez élastiques, car aucun état civil régulier n'existait à Hono-Rourou. Tous avaient voulu s'enrôler, même les enfants et les vieillards. On avait formé six bataillons d'une quarantaine d'hommes, répartis en quatre sections de dix. Chacun de nous avait été promu commandant. Il y avait cinq bataillons de chasseurs-voltigeurs et un sixième d'artillerie, sous la direction de Langlois.
    En outre, on avait constitué une garde nationale. M. Dalbret avait été nommé par acclamation chef d'état-major. Des plans de l'île furent dessinés et chacun s'était vu désigner un poste en cas d'attaque.
    Avec un sens avisé de la psychologie des foules, Bertrand avait proposé de doter nos troupes d'un uniforme. Celui-ci se réduisait modestement à un calot de toile bleue, cette teinte étant la plus aisée vu que l'île possédait de nombreuses plantes d'indigotier.
    Nos hommes avaient été armés d'arcs de bambou, et, tous les matins, ils défilaient fièrement, le calot sur l'oreille, par la place du village, pour aller s'entraîner au tir, à la plaine des manoeuvres établie derrière la plage. Ils exécutaient des salves de flèches sur des cibles de lianes tressées. Leur précision devint vite étonnante. On organisa des concours dotés de prix, pour stimuler l'ardeur de la troupe.
    Des semaines avaient passées depuis la visite des émissaires papous, lorsqu'un matin, le tam-tam d'alerte, frappé par les guetteurs de la plage, nous réveilla en sursaut. Les compagnies de Firmin et de Merlon rejoignirent promptement leurs postes, à l'abri de la palanque. J'avais quant à moi, mission de garder avec mes hommes la côte rocheuse du sud de l'île. De la hauteur, j'apercevais la mer littéralement couverte de pirogues. Il y avait là, certes, plus d'un millier d'hommes qui s'avançaient vers Hono-Rourou. Nous allions devoir lutter à un contre cinq et je ne me dissimulais pas l'horreur de notre sort, si les cannibales parvenaient à envahir l'île.


    A SUIVRE


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