• un an de grandes vacances
    19


    Mais Firmin maintenait fermement la cheville du gros Merlon de sa poigne robuste, et sans hésiter, il appliqua ses lèvres sur la plaie dont il suça le venin.
    - T'inquiète pas, fit Labadou, après avoir recraché plusieurs fois la sanie. Tu n'en mourras pas, vieux froussard ! Je connais ça. Chez nous, à la campagne, c'est remplit de vipères. Crois-moi, c'est le meilleur traitement. Heureusement pour toi que tu venais de prendre une douche, sinon je laissais gonfler ta jambe et tu claquais sur place.
    - Merci, mon vieux Firmin. Tu es un chic type, s'excusa Merlon avec un pâle sourire.
    Le lendemain, on n'y voyait plus trace.
    M. Dalbret, était devenu le confident, l'homme de confiance d'Hama-Koua. La sagesse de notre professeur emplissait le roi d'admiration. Ce dernier le consultait chaque fois qu'il devait prendre une décision ou prononcer un jugement sur un litige que lui soumettaient ses sujets.
    Hama-Koua avait insisté pour que M. Dalbret épousât sa fille, la princesse Koua-Kini ou l'une des douze femmes de son harem, et qu'il s'établit définitivement dans l'île dont il deviendrait roi à sa mort. Il comprenait mal que notre maître déclinât son offre, sous prétexte qu'il était déjà marié, et qu'en France la polygamie est un crime. Hama-Koua avait déjà entendu parler de la France dont le chef régnait par délégation sur Taïti et d'autres îles, situées à des semaines de navigation.
    Outre son vollage central, qui groupait environ 300 habitants, Hono-Hourou possédait disséminées sur son territoire, d'autres huttes, occupées principalement par des pêcheurs. Nous allions parfois à la pêche avec eux. Ils utilisaient des filets et des nasses, mais le plus curieux était de les voir plonger, armés d'un petit trident très aigu, avec lequel ils allaient débusquer dans les roches sous-marines un exquis poisson, rond comme une dorade, qu'ils ramenaient embroché.
    Il y avait autour de l'île, de nombreux requins; aussi cette pêche au harpon n'était-elle pas sans danger.
    Quand nous avions envie de poisson, nous mettions à l'eau notre pirogue à balanciers et nous chassions le requin à coups de carabine. dès que le squale était atteint, les indigènes plongeaient et lui passaient un noeud coulant à la queue pour le hisser dans l'embarcation. La chair du requin est d'une grande finesse, surtout préparée à la manière indigène, avec des herbes aromatiques qui rappellent nos feuilles de genévrier.
    Ainsi nous avions peu à peu adopté les goûts et les moeurs des naturels du pays. Nous étions maintenant vêtus du paréo et notre peau était aussi bronzée que celle des vrais Maoris.
    Nos chevelures avaient l'ampleur de leurs tignasses et nos colliers de barbe nous entouraient plaisamment le visage.
    M. Dalbret décida un jour que c'était là du laisser-aller. Il se mua en Figaro et nous passâmes tous sous son rasoir. Par mesure d'hygiène, nos mentons redevinrent imberbes et nos boucles furent ramenées à la longueur réglementaire.
    Nous menions une vie si saine, toute d'activité au grand air, qu'aucun de nous ne connut la maladie. Le climat était remarquablement salubre et la population, qui ignorait l'alcool meurtrier, n'était pas minée par la tuberculose comme dans beaucoup d'île de l'archipel polynésien colonisées par les Blancs.


    A SUIVRE


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