• Alexandre sensei Paris

    Je vais vous raconter l'histoire d'Alexandre. Alexandre avait ce vieux rêve de vivre dans la ville de la lumière, de connaître Paris, de visiter ses musées, de connaître ses artistes célèbres, de vivre la bohème, celle que chantait Charles Aznavour et, pourquoi pas, de triompher. Car Alexandre était rêveur, mais c'était également un artiste. Il était artiste peintre et il voulait aussi être ninja. Cette idée lui était venue après avoir vu le film « Octogone » avec Chuck Norris et parce qu'un ami lui avait commenté qu'en France vivait le seul ninja qui s'habillait en blanc. Et Alexandre voulait étudier avec lui le ninjutsu, l'art des ombres. Alexandre se faisait appeler « Sensei Paris » car Paris était le nom que l'on donnait dans la mythologie grecque à Alexandre, le fils des rois de Troie qui l'abandonnèrent parce qu'une prophétie avait annoncé que Paris causerait la ruine de Troie. Réalisant un jour enfin son rêve, Alexandre s'en alla à l'aéroport, direction Paris, sa ville aimée, son rêve impossible qui enfin se faisait réalité. En plus de ses maigres économies, il prit quelques vêtements et une valise contenant 365 boîtes de conserves de sardines « Margarita » conservée dans de l'huile de sésame, 365 boîtes de conserve de poisson. Il était prêt à vivre, à survivre, un an dans sa ville idéale. Un ami artiste (celui-là même qui lui avait parlé du ninja blanc) lui avait offert une petite pièce au fond de son atelier et il allait vivre là le temps d'une année. Il dépenserait le moins possible et mangerait une boîte de sardine par jour. Il le ferait le soir, avant de se coucher pour ainsi assimiler tout son contenu. Miraculeusement, Alexandre Sensei Paris passa la douane sans qu'on ouvre sa valise. Il échappa ainsi à l'accusation de contrebande de conserves de sardines. C'était véritablement incroyable. Comment ne l'avaient-ils pas découvert à la douane française, ni ouvert la valise pleine de sardines ? Un miracle des Dieux ?De Paris, que vous dire. Il passait tout son temps à la tour Eiffel qui fut construite en honneur à la fidélité de Paris au reste du monde et qui était devenue la carte d'identité de la ville et d'Alexandre aussi, qui l'aimait et allait souvent s'asseoir la peindre à ses pieds, tout comme il peignait aussi Notre Dame, Montmartre, le Palais de Chaillot, le jardin du Trocadéro, la Seine, la Sorbonne, l'Arc de Triomphe, les Champs Elysées. Ces beaux Champs Elysées où revêtu de l'uniforme noir de ninja, il improvisait des kata qu'il inventait et lançait des étoiles ninja contre les arbres et où souvent aussi il allait dormir le midi sur la pelouse. Il allait se promener boulevard Montparnasse tout en pensant à Charles de Gaulle. Ou il allait le lundi au Louvre s'extasier devant ces oeuvres d'art qu'il ne connaissait qu'à travers les photographies des livres d'art, la Vénus de Milo, la Victoire de Samothrace, la chère Mona Lisa de Léonard de Vinci. Il allait voir les oeuvres de Picasso, Monet, Renoir, Cézanne.Pour Alexandre, la France c'était seulement Paris et la colline de Montmartre la délimitait du reste du monde. Il n'aimait pas du tout les Français et ne parlait même pas leur langue. Tous les jours, il marchait et allait visiter le Quartier Latin, sur la rive gauche de la Seine, ou il allait se promener rue de Rivoli, rue de la Paix, rue Saint Honoré où il regardait toujours à travers la fenêtre d'une maison où l'on pratiquait la savate. Il continuait avenue de l'Opéra, boulevard des Italiens, boulevard Montparnasse, pour terminer une fois de plus aux Champs Elysées. Et là, épuisé, après avoir lancé quelques coups de pieds sautés, il restait à dormir ou à lire le Monde ou le Figaro.Sans s'en rendre compte, onze mois avaient passé et il avait consommé 330 boîtes de conserve. Il gardait les autres très soigneusement car elles étaient sa subsistance. Il savait qu'en décembre, il serait de retour chez lui, de retour dans sa ville natale, avec sa famille et ses amis. Il passait toutes ses journées de la même façon. Il dessinait, il faisait des kata, il promenait son corps efflanqué dans Paris, espérant un jour rencontrer Jean Claude van Damme, le soke Hatsumu ou son idole Stephen Hayes, « le ninja blanc ».Puis il rentrait le soir à l'atelier, écoutait les vieux 33 tours d'Edith Piaf : « je ne regrette rien », « la vie en rose », et de Charles Aznavour : « viens pleurer au creux de mon épaule », « tu t'laisses aller », « la mamma », « comme ils disent ». Et il mangeait sa boîte de conserve quotidienne. Sensei Alexandre ne parlait avec personne. Cela faisait presque un an qu'il était dans la ville de la lumière et il n'avait toujours pas savouré la douceur du succès, ces 15 minutes de célébrité que lui avait promis Warhol. Et il n'avait pas non plus rencontré les ninja parisiens. Il allait à l'atelier et les dernières boîtes de sardines l'attendaient, son précieux trésor. Jour après jour, il suivait la même routine. Comme il ne lui restait plus qu'un jour à Paris, il sortit rapidement se promener, dans son uniforme tout noir avec sa capuche et son shinobi shozoku. Il s'en alla vers le centre national d'art et de culture George Pompidou. De là, il alla au musée Picasso, l'hôtel Sale du XVIIème siècle restauré, car ce musée possède la plus grande collection de peintures de cet artiste. Ensuite il alla de nouveau voir la pyramide de cristal, puis à la Sorbonne.On le retrouva complètement nu, mort, vidé de son sang. Il s'était fait de profondes coupures à l'avant bras gauche qui avaient atteint les veines et les artères. Son cadavre baignait dans une grande mare de sang. Les coupures avaient été faites avec un objet tranchant qu'on ne réussit pas alors à identifier. A la morgue, le médecin légiste nettoya le cadavre et procéda à l'autopsie. C'est alors qu'ils se rendirent compte que les coupures à l'avant bras gauche formaient un mot, maladroitement écrit avec des lignes droites.Dans cette chair, les profondes coupures avaient écrit le mot « Paris ». Le chef de la police chargé de l'investigation du cas, chercha alors avec toute son équipe, là où on avait retrouvé le cadavre. Ils parvinrent finalement à trouver l'arme avec laquelle il s'était donné la mort. C'était le couvercle coupant de la boîte de sardines. La dernière boîte de conserve qui restait à Alexandre sensei Paris.


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