• Ameline

    L'aube arrivait; comme toujours, Ameline alla se coucher dans sa prison, cet exigu caisson de bois, que les humains, ces merveilleuses créatures appellent cercueil.
    Comme toujours, elle rêva des temps où elle était comme eux, avant sa terrible et incompréhensible métamorphose. Comme toujours, elle se remémora cette sinistre soirée où poussée par quel instinct bestial, elle embrassa son pauvre père, veuf, dans une étreinte mortelle, le vidant ainsi de son sang. A partir de cet instant, sa vie de créature de la nuit débutait. Elle se réfugia alors dans une sombre et profonde crypte dans laquelle aucune lumière solaire ne pouvait l'atteindre. Chaque nuit, au crépuscule, Ameline sortait de son univers de ténèbres, et demeurait pensive, baignée par la lumière lunaire qu'elle appréciait dorénavant. Les rayons lunaires lui rappelaient d'ailleurs les rayons solaires qui la réchauffaient dans sa jeunesse; ce merveilleux soleil qu'elle adorait, qui lui brunissait la peau, et qui maintenant lui était insupportable, qui la ferait souffrir et qui la tuerait.
    Comme toujours, elle rêva de pouvoir mourir, à l'instar des humains; mais, quand on est un vampire, on est condamné à vivre; Ameline voulait mourir, voulait retrouver le soleil, mais elle ne pouvait pas; elle devait continuer à tuer des humains, contre sa volonté. Elle se voyait les vidant de leur sang, mettant fin à leur vie avec tant de délectation et de dégoût à la fois. Pourquoi était-elle devenue une de ces abominables et viles créatures, pourquoi ?
    N'y avait-il personne pour la tuer, la délivrer, la rendre heureuse, puisqu'elle même ne le pouvait pas ?
    N'y avait-il aucun guerrier, aucun paladin, aucun chevalier assez puissant pour lui résister, pour la combattre et pour enfin la détruire ?
    Ne pouvait-elle donc point devenir libre ?
    Comme toujours, elle songea à cet instant où elle passerait de vie à trépas, cet instant de bonheur intense jamais ressenti jusqu'alors, instant de joie indescriptible, instant exceptionnel qui serait le plus beau de sa vie, mais qui n'aurait lieu qu'au jour de sa mort. Ce jour-là, son calvaire s'acheverait. A cette pensée Ameline était heureuse.
    Soudain, elle s'éveilla; elle savait que le jour n'était pas terminé, et elle savait ce que ça signifiait : des étrangers pénétraient dans son domaine.
    Elle attendit anxieuse : des étrangers !! peut-être réussiraient-ils à la tuer !! Son espoir grandissait. Elle se leva, lorsqu'elle vit le petit homme qui entrait dans la crypte. Il était petit, quasiment rachitique, vêtu d'une grande cape noire à capuchon, trop grande pour lui; à son cou, pendait un collier au bout duquel Ameline vit une croix en bois. Il portait également un gros livre dans sa main droite; Ameline reconnut là un bréviaire; à sa ceinture était accrochée une lourde masse.
    Quand il la vit, il brandit son symbole vers elle :
    - Vade retro satanas, retourne aux enfers, vile créature, fille du diable ! clama-t-il.
    A ce moment précis, Ameline ressentit une curieuse sensation, comme si le feu ardent qui l'animait depuis le soir où elle avait tué son vieux père s'était éteint, brusquement. Elle comprit alors que les rayons du soleil ne la brûleraient plus à l'aube mais au crépuscule, qu'elle pourrait enfin quitter son caisson de bois; elle était redevenue une femme, une vraie, bien humaine, faite de chair et d'os.
    Folle de joie, ivre de bonheur, elle se précipita vers le petit homme, en s'exclamant :
    - Humaine ! Je suis humaine ! dans mes bras, viens dans mes bras mon ami ! Embrasse moi !
    Elle n'était plus consciente de la réalité, elle était ailleurs emportée par une vague d'allégresse, qui la submergeait. Elle n'entendit pas le petit homme qui grommelait :
    - T'es humaine... ...ouais, c'est ça t'es humaine... et moi j'suis un dragon rouge qui crache le feu, non ?
    Et, pour tout baiser, Ameline reçut le marteau de guerre du petit homme, qui lui fracassa le crâne...


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