• l'arme du crime

    Le radio-réveil s'est déclenché à 7 heures, mais il ne dormait pas. Si cette nuit avait été impossible, c'est parce qu'il était tout excité à l'idée de son lendemain.
    Un animateur racontait une blague sur un de ces candidats débiles de ces émissions débiles qui fabriquent des vedettes.
    La blague était débile et le public riait, il applaudissait même. Et le candidat débile qui était là riait aussi. Si tous ces gens riaient autant c'était pour se prouver que ça valait le coup de se lever si tôt pour aller dans un studio de radio écouter un mec débile.
    Il l'imaginait, le candidat débile avec son tee-shirt trop petit, son jean trop grand, ses dents trop blanches et ses cheveux mouillés en l'air. Il y avait un grand panneau l'autre jour en bas de chez lui : "Gel effet saut du lit".
    Le mannequin avait un tee-shirt trop petit et des dents trop blanches.
    Et des cheveux en l'air pleins d'huile.
    Son effet saut du lit à lui, c'est un crâne lisse avec des poils sur le dessus qui essaient de se croire cheveux. D'ailleurs, ils l'ont été. Ce crâne, c'est son compte à rebours. Ils tombent un à un. Est-ce qu'il y aura un jour une crême de jour "effet crottes aux coin des yeux" ? Un dentifrice "effet haleine au saut du lit" ?
    L'animateur, le candidat, il les met sur la liste. C'est décidé.
    Et le public ? Parce qu'il faut quand même être sacrément débile pour aller regarder une émission de radio. D'autant plus que l'animateur débile doit bien avoir une émission de télé où il raconte exactement les mêmes blagues débiles sur les mêmes candidats débiles qui sont là aussi. Avec le même public. Allez, le public est sur la liste aussi.
    Elle commence à être sérieusement longue, la liste.
    Il y a un peu de tout : le prof de gym qui lui mettait des coups de pied au cul en 5ème, le maître-nageur qui lui mettait des coups de perche sur la tête... C'est incroyable comme les profs de sport étaient cons. Quand il était petit, il y avait des classes de transition pour les élèves qui foiraient tout. Pareil : les profs de sport, c'était des profs de transition.
    En survêtement toute la journée. Le dimanche ils devaient laver leurs voitures en costume.
    C'est ça, sa liste : les gens qui l'emmerdent, les gens qui lui pourrissent la vie.
    Le vieux con en pantalon en velours avec un revers qui lui passe devant tous les matins chez le marchand de journaux pour racheter son Figaro. C'est plus rapide, ça vaut pile un euro. Ca doit être la première fois que le Figaro tombe juste.
    La vieille d'en bas qui fait chier son chien n'importe où. Il lui a dit une fois, elle lui a demandé si ça lui arrivait pas à lui de chier. Ben si. Mais lui il fait pas ça dans la rue. Et il a pas un trou de balle rose tout boursouflé. Il a pas non plus le truc en plastique autour du cou du chien qui l'empêche de se gratter et qui ressemble à un abat-jour. C'est ça : elle a monté son ratier en lampe.
    Elle a rajouté que, quand on aime pas les animaux, on aime pas les gens. Ben oui, peut-être.
    C'est pas de sa faute si on dirait que le monde est peuplé de hordes de profs de sport. Masqués pour la plupart. Comme ces hooligans qui se laissent pousser les cheveux pour passer inaperçus, ils enlèvent leurs survêts et mettent des pantalons. En velours. Avec un revers.
    Ou promènent un chien. Qui chie partout.
    Maintenant il y a aussi l'animateur et le candidat et le public sur la liste.
    La liste des gens à supprimer.
    Il y a aussi tous ces gens avec leurs téléphones portables. Une fois, il a pris l'avion. Pour aller de l'avion à sa valise, il fallait prendre un bus. A peine arrivés dans le bus, des dizaines de gens se sont mis à appeler des tas d'autres gens. Je suis bien arrivé. Je suis dans le bus. Je vais chercher mes bagages.
    Ca y est, on roule. On roule plus. Des années de recherche, des centaines d'intelligences combinées ont transformé les gens en commentateurs de football.
    Lui aussi il a un portable, on est obligés. Obligés pourquoi, il ne sait plus trop. Il a appelé sa mère du bus qui va à la valise. Je suis bien arrivé. Je suis dans le bus. Il a réveillé sa mère. Elle ne savait même pas qu'il était parti. Elle lui a dit qu'il l'emmerdait.
    Ca y est, il se souvient : il a pris un portable parce que ça coûte moins cher pour appeler un portable. Voilà. Comme ça, il peut téléphoner à des gens pour savoir si le bus roule ou pas.
    S'il s'écoutait, il ne prendrait pas de douche, il ne se brossserait pas les dents. Il enfilerait son pantalon, sa chemise, son blouson et il filerait tout de suite à toute vitesse.
    Il est tout excité parce que c'est aujourd'hui qu'il commence à l'exécuter, sa liste.
    Mais non, il faut avoir l'air normal.
    Il y a aussi les gens qui ont des grandes mèches, comme enroulées. Eux, c'est du gel "effet saut du manège" qu'ils doivent mettre.
    Ils ne sont pas aussi bruyants que ceux du bus, mais ils font aussi mal aux yeux que les autres aux oreilles.
    C'est injuste : avoir autant de cheveux et en faire ça. Du gâchis. Il ne faut pas jouer avec les cheveux, il y a des gens qui n'en ont pas. Lui, par exemple. Lui, s'il avait des cheveux, il s'enfermerait toute la journée chez lui à les peigner, à les brosser. Peut-être même qu'il se mettrait du gel "effet saut du lit" ou "effet sortie de douche" pour essayer. Lui ce qu'il aimerait surtout c'est l'"effet avoir des cheveux".
    Ils sont sur la liste les gens à mèches avec leurs profs de tennis.
    Parce que les profs de tennis, c'est comme les profs de sport. Mais pire : on les paie. Comme si le supplice des profs de sport à l'école n'avait pas été assez long comme ça.
    Il est douché. Il a l'air normal.
    Il ne faut pas qu'on se doute qu'il va acheter son arme du crime.
    Le magasin est là, de l'autre côté de la rue. Par la porte entrouverte, il en voit plein, des armes du crime. Il ne sait pas trop quoi choisir. Une au hasard. La rouge. Comme le sang.
    4 euros 60, c'est cher pour une arme du crime. C'est tellement pas cher qu'il en prend deux.
    Elles sont dans ses poings, les poings sont dans ses poches de blouson.
    Tremblez, les profs de gym. Tremblez les chieurs, les commentateurs. Les à mèches, les en survêt, les je suis dans le bus, les Figaro à un euro pile, les effets saut du lit. Les chiens montés en lampes, les trous de balle boursouflés. Tremblez, j'ai mon arme du crime.
    Je peux commencer.
    Je sors les poings, j'ouvre les poings et je les vois. C'est dangereux, c'est mortel, c'est écrit en gros : "Fumer tue".
    Je commence maintenant.
    J'allume une cigarette. Monsieur, vous n'auriez pas une cigarette ? Il a un tee-shirt trop petit, un jean trop grand, et les cheveux huilés en l'air. Bien sûr, tenez. Prenez-en plusieurs. 5. Prends le paquet. Va en filer à tous les tee-shirt trop petits, les jeans trop grands, les gelés qui sortent du lit, de la douche. Vas-y. C'est parti.
    Je fume. Je vais fumer partout. Partout où sont les gens de la liste. Je vais provoquer des morts lentes. Je vais aller nuire à tous mes entourages.
    Je vais aller acheter une cartouche, parce qu'elle est sérieusement longue, ma liste.


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