• l'échange

    La jeune femme se redressa en entendant coulisser le shoji. Otaku Kamoko le franchit, ses traits étaient tirés et son teint pâle.
    «  Shâam-san, Otaku Tetsuko vient d’être assassinée !
    - Ah ? Euh… Je suis euh… désolée… »
    Elle jeta un coup d’œil au corps de garde qui entourait Kamoko et rajouta une inclinaison courtoise à sa phrase.
    «  Iuchi Jun-san dit qu’elle a été victime d’un empoisonnement !
    - Ah ?
    - Attendez une minute, Shâam-san ! Qu’est-ce que c’est que ce flacon dans votre main ?
    - Euh ça ? Oh, du poi… euh je veux dire du parfum.
    - Du parfum ? Vous en enduisez votre lame ?
    - Euh… »
    La jeune femme baissa les yeux sur son katana dégainé et sur le pinceau qu’elle tenait toujours en suspens au-dessus de sa lame.
    « Oui… J’enduis ma lame de parfum. Enfin vous savez, pour le respect des ancêtres, tout ça…
    - C’est fait avec quelle fleur ?
    - De la bellad… euh de la bella pivoina… C’est un parfum gaijin.
    - Ah… On a trouvé aussi une inscription a côté de son corps. »
    Le daimyo de la famille Otaku lui tendit un parchemin froissé où s’étalaient des lettres de sang : Shâam m’a tuer.
    «  C’est un complot ! Elle peut pas saigner, je l’ai pas frappée ! Et puis ce poison agit trop vite pour qu’elle ait eu le temps d’écrire !
    - Pardon, Shâam-san ? »
    Cinq paires d’yeux soupçonneux se posèrent sur la jeune femme qui eut un hoquet de douleur. Elle porta une main à son front et se cambra avant de tomber sur le sol.
    «  Par les Fortunes ! Je viens d’avoir une vision ! Otaku-dono a parlé à travers moi ! Elle veut que je me charge de l’enquête !
    - Wahou ! Otaku-dono ? », firent en cœur les quatre yojimbo.
    «  Oui… », murmura Shâam d’une voix faible. « Otaku-dono…
    - Hum… Shâam-san, Otaku-dono ne parlait pas.
    - L’au-delà prête des pouvoirs extraordinaires aux âmes défuntes, Kamoko-dono… L’omniscience, la parole à travers Shâam, tout ça quoi… », fit-elle doctement remarquer.
    « Ah.
    - Oui.
    - Bon.
    - Et donc… Vous n’avez plus de hatamoto ?
    - Non.
    - Ah, mince… C’est ennuyeux quand même, non ?
    - Oui. Mais je pense que quelqu’un pourra la remplacer.
    - Ah ? »
    Shâam se releva, ferma le flacon de belladone, euh de bella pivoina et épousseta son kimono avant de faire jouer sur ses lèvres son plus beau sourire. En se concentrant très fort, elle parvint même à faire tomber une mèche de cheveux particulièrement séduisante devant son œil gauche qui était d’un gris particulièrement séduisant.
    « Oui, Otaku Xieng Chi-san. Le poste de sa mère lui revient.
    - Ah… »
    Son sourire réussit à rester magnifiquement séduisant malgré son envie de mordre son daimyo.
    « Oui, Xieng Chi-san, une fille très con… euh capable. C’est un très bon choix, Kamoko-dono, elle sera parfaite à cette fonction. »
    Les quelques mois qu’elle aura à vivre en tout cas…
    « Oui, je suis heureuse que vous approuviez mon choix, Shâam. Je ne voulais pas qu’une stupide rivalité vous oppose à Xieng Chi !
    - Oui, bien sûr. Non, et puis, vous savez, le côté administratif, la paperasse, tout ça c’est pas pour moi, hein ? Moi j’aime les trucs de Otaku, là… Vous savez, les trucs genre tuer des Matsu, faire du cheval, m’entraîner avec ma naginato.
    - Naginata.
    - Naginata, naginato, naginati, c’est pareil tout ça ! Une histoire de voyelle ! Et puis bon, l’orthographe, la grammaire, c’est pour les bureaucrates, hein ? Je suis une femme d’action, moi !
    - Oui, je sais. La nuit fut pleine d’action… »
    Otaku Kamoko eut un sourire enjoué qui fit détourner leurs regards aux yojimbo. Moshiko, yojimbo attitrée de Kamoko toussa, gênée.
    « Oui, une nuit active. Ce soir, nous allons organiser une cérémonie pour officialiser la position de Xieng Chi. Je compte sur vous pour préparer tout ça, Shâam-san. Rien de trop jovial, quelque chose de simple et formel. N’oubliez pas les circonstances qui ont suivies sa nomination. Je ne tiens pas à déshonorer la mémoire d’Otaku Tetsuko qui m’a servi fidèlement pendant toutes ces années.
    - Comptez sur moi. Le temps de finir de mettre un peu de bella pivoina de côté…
    - Oui, je vous laisse aussi la direction de l’enquête concernant ce crime abominable.
    - Votre confiance m’honore. »
    La jeune femme s’inclina profondément, son daimyo sourit puis quitta la chambre, ses yojimbo sur les talons.
    « C’était nul, Shiori !
    - Ah ? »
    La jeune femme se releva et regarda sa jumelle se couler hors de l’armoire.
    « C’est dingue ce que c’est étroit ces placards !
    - Alors ? Tu n’es pas convaincue ?
    - Non. Est-ce que je dis aiguicho, moi, quand je te remplace ? Ou aiguicha ? Non, je dis aiguichi ! Alors, je te le répète, c’est naginata !
    - Oui, ok, naginata. Naginata.
    - Bon et puis pour le poison, de la discrétion. Ne le fais pas dans la chambre, va aux écuries, dis que c’est du vernis pour les cuirs. Non mais sans blague ? Une Otaku qui met du parfum ? Et pourquoi pas une Matsu avec des ongles vernis ? T’as de la chance que le développement du cerveau de Kamoko se soit arrêté après la mort de sa mère…
    - J’ai un très bon produit à te fournir à propos. Un simili vernis à ongles qui dégage des vapeurs mortelles et qui empoisonne en partant des doigts. Un truc pour tuer des Doji quoi.
    - Tu penses que ça marche sur les Kakita ?
    - Oui. C’est des Doji refoulés.
    - Bon, on va répéter encore un peu et puis je te laisserai sur place. J’irai faire mes petites affaires avec les Shosuro et dans trois mois, je reviens, ça te va ?
    - Et je pourrais monter Ginko ?
    - Même pas en rêve. Je peux te casser une jambe si tu veux, ça sera plus normal que tu fasses jamais de cheval.
    - T’es pas marrante, Shâam… Et Kamoko ? Tous les soirs ?
    - Oui, désolée, mais sinon elle va se douter d’un truc. T’oublie pas d’arroser ma réserve de plantes et tu dragues deux ou trois shiotome par jour sinon ça collera pas. Pour Ginko, pas trop d’avoine, tu la libères deux fois par jour, elle revient toute seule.
    - C’est tout ?
    - Oui. »
    Shiori eut un sourire.
    « Je sens que je vais rigoler. »
    Shâam lui fit écho et rajusta son masque.
    «  Moi aussi. »


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