• l'enfant de Shaolin

    Dans un petit village, aux fins fonds de la province de Hebei, Wu Chang et son jeune frère Wu Ta vivent dans un dénuement absolu. Ils sont orphelins et Wu Chang n'a que quinze ans.
    - Maudite sécheresse ! dit Wu Ta. Voilà plusieurs jours que nous n'avons rien mangé.Il n'y a plus de légumes ni de baies sauvages à ramasser dans les bois.
    Wu Chang réfléchit. Il lui vient une idée:
    - Et si j'allais ramasser des feuilles d'ormes ? Tu pourrais les échanger contre quelques pains. Ce serait toujours ça !
    - Pourquoi pas ! répondit Wu Ta. Liu Ming Kuai nous donnera bien cinq pains.
    Wu Chang, muni d'un sac et de cordes, part dans la forêt.
    - Je ne serai pas long dit-il à son frère.
    Wu Chang erre dans dans les bois et finit par se retrouver face à un orme géant. Il se dresse orgueilleusement devant la belle demeure d'un riche propriétaire. Ses branches sont quasi-dénudées.
    "D'autres sont passés par ici" pense-t-il "Les quelques touffes épargnées sont à la cime. Sacré boulot !"
    Wu Chang entreprend courageusement l'ascension de l'arbre : "Pas étonnant que personne ne se soit risqué si haut !".
    Wu Chang remplit son sac. Sa position est malaisée, un faux-pas lui serait fatal. Avec beaucoup de précaution, il poursuit sa tâche.
    "Il faut que je me hâte, Wu Ta doit m'attendre et s'inquiéter".
    Enfin rentré, Wu Chang envoie Wu Ta chez Liu Ming Kuai avec le sac de feuilles. Mais il tarde à revenir.
    "Il est si jeune, il vaut mieux que j'aille à sa rencontre".
    Aux approches de la maison de Liu Ming Kuai, chef d'une riche et puissante famille, Wu Chang entend des éclats de voix.
    "On dirait une dispute". Il presse le pas et aperçoit son frère.
    "Cela n'a pas l'air de se passer au mieux".Wu Chang court à présent. Il voit clairement Liu Ming Kuai arracher le sac des mains de Wu Ta.
    - Tiens prends ce pain !
    - Non, il y en a au moins pour cinq! Mon frère a failli se rompre le cou ...
    - Il suffit, je n'ai pas de temps à perdre ! Prends ce pain et va-t-en ! Sinon, j'appelle mes serviteurs.
    - Vous n'êtes qu'un voleur !
    Sous l'insulte, Liu Ming Kuai à blêmi. Il envoie un coup de poing au gamin, qui roule à terre.
    Liu Ming Kuai a la réputation d'homme cupide et violent. Ses richesses l'ont rendu puissant et personne n'ose le contrer, même quand il commet les pires méfaits. Mais Wu Chang, avec la fougue de sa jeunesse, s'interpose pour protéger Wu Ta.Révolté par tant de brutalité, excédé par l'attaque traîtresse, Wu Chang saisit Liu Ming Kuai et le jette à terre. Il s'acharne sur son visage.
    - Veux-tu aussi une correction ?
    Sans attendre de réponse, il lance son poing au visage de l'ainé, qui, lui, bloque l'attaque. Effrayé par la tournure des événements, Wu Ta ramène son frère à la raison.
    - Laisse tomber, rentrons ! Il n'en vaut pas la peine. Allez, viens !
    Mais à ce moment-là...
    Alors que les deux frères s'apprêtent à partir, ils entendent des grognements derrière eux. Ils ont à peine le temps de se retourner que déjà un chien furieux a saisi dans sa puissante mâchoire une jambe de Wu Ta. Sous la violence de l'attaque, Wu Ta est jeté à terre. Surpris par la charge du molosse, Wu Chang se ressaisit. Il cherche et trouve un gros bloc de pierre. Il l'attrappe et l'abat sur la tête du chien.
    - Je vais te tuer sale bête:
    Le coeur battant, Wu Ta presse son frère de rentrer. Alors qu'ils n'ont fait que quelques pas, ils entendent derrière eux une voix furieuse.
    - Arrêtez-vous, tous les deux! Pas si vite!
    En se retournant, ils voient les deux fils de Liu Ming Kuai, les visages déformés par la colère.
    - Attendez, un peu, vous deux! Wu Chang, tu as osé porter la main sur mon père et tuer mon chien! Tu ne vas pas t'en tirer comme ça! s'écrit Liu Ching Kuai, le fils aîné. Liu Ching Kuai est un adepte de kung fu. Avec une rapidité foudroyante il lance son pied au visage de Wu Chang qui s'aplatit au sol.
    - Tiens! ça c'est pour les coups que tu as donnés à mon père ...
    Liu Ching Kuai ramasse le bloc de pierre qui a servi à tuer le chien et le soulève.
    - Et maintenant, je vais t'écraser la tête comme tu l'as fait à mon chien!
    Au moment où il va commettre son crime, un cavalier surgit de nulle part et cingle avec son fouet les avant-bras de Liu Ching Kuai.
    Sous le coup de la douleur, Liu Ching Kuai lâche le bloc de pierre et avant qu'il ait pu réaliser d'où vient l'attaque, il reçoit un formidable coup de pied qui le terrasse. Liu Shing Kuai, le frère cadet, qui n'a pas bougé jusqu'à ce moment, s'élance pour s'interposer entre le cavalier et son frère.
    - Impudent! De quoi te mêles-tu? Sais-tu qui nous sommes?
    - Pourquoi brutalisez-vous cet enfant ? demande le cavalier.
    - Occupe-toi de tes affaires, crie Liu Shing Kuai, qui dégaine de sa ceinture un poignard pour le planter à la gorge du cavalier.Sans bouger, le cavalier se contente de parer l'attaque avec le manche de son fouet.
    - Vous êtes un adepte des arts martiaux, mais vous les utilisez mal. Je vais vous donner une leçon! dit le cavalier, qui daisit le bras de Liu Shing Kuai et le projette au sol.
    Liu Shing Kuai comprend de suite qu'il n'aura pas le dessus.
    - Grâce ! implore-t-il.
    - C'est bon, pour cette fois-ci. Que je ne vous y reprenne plus, toi et ta famille, à abuser des faibles. Vous aurez affaire à moi.
    - Seigneur, nous vous devons la vie. Merci mille fois ...
    - Ce n'est rien. Mais pourquoi ces rapaces s'en sont-ils pris à vous ?
    Wu Shang raconte son histoire. Après avoir écouté avec attention, le cavalier inconnu leur conseille d'être très prudents à l'avenir.
    - Ces gens ne sont pas prêts d'oublier ce qui s'est passé. Prenez garde à vous.
    - Seigneur, si j'osais ... Si je connaissais votre science du combat, ces gens ne pourraient jamais plus abuser des faibles gens comme nous. S'écrie Wu Shang. Ni eux, ni leurs pareils!
    - Vous voulez dire que vous mettrez votre science des arts martiaux au service des faibles ? C'est une bonne attitude mentale. Mais je ne peux vous enseigner cette voie. De grandes tâches m'attendent. Mais vous pouvez aller dans le Honan. Il y a là-bas un temple où des moines enseignent les arts martiaux. On l'appelle le temple de la Jeune Forêt. C'est là-bas que j'ai été formé.
    Le cavalier prend congé des deux frères. Wu Shang décide sur le champ de se rendre dans ce temple. Sa décision est irrévocable. Il se mettra au service des démunis. Après avoir ramassé quelques affaires, les deux frère condamne la porte de leur maison avant de prendre la route.
    - Wu Ta, je dois te mettre en lieu sûr. Avec les Kuai on ne sait jamais ... Tu vas aller chez nos cousins, j'aurai ainsi l'esprit tranquille et je pourrai me donner complètement à l'étude des arts martiaux.
    - Je te comprends, frère. Ne m'oublie pas. Reviens dès que tu pourras.
    Après de longues journées de marche, Wu Chang arrive enfin au temple Shaolin, bâti sur le flanc occidental du mont Song Chan qui signifie la montagne du centre. Après avoir grimpé les marches du temple, Wu Chang entend les bruits d'une grande activité. Il aimerait entrer mais les portes sont closes. Il risque un oeil par une fente de la porte. Mais il ne voit rien. Il frappe mais personne ne lui répond. Il décide alors de contourner les murs du temple.
    - Tiens, je vais grimper sur ce tas de pierre pour jeter un oeil de l'autre côté.
    De l'endroit où il est, il apperçoit des moines occupés à exécuter des séries de mouvements.
    - Mais c'est de la dance ! Est-ce ça les arts martiaux ? J'ai dû me tromper de temple. Je n'ai tout de même pas fait tout ce chemin pour devenir danseur !
    Alors que, déçu, Wu Chang va rebrousser chemin, il apperçoit un moine, le plus vieux de tous, âgé de soixante dix ans peut-être, mais paraissant très vigoureux encore, s'approcher d'une colonne de granit tout en exécutant des sééries de mouvements. Un cri puissant qui semble jaillir de son ventre déchire l'air. Avec une rapidité foudroyante, il brise du tranchant de sa main la colonne de pierre.
    - Bon sang ! Voilà un maître d'arts martiaux.
    Enthousiasmé par cette démonstration d'efficacité, et n'écoutant que son envie de parler à ce vieux moine, Wu Chang enjambe le mur et se laisse tomber à l'intérieur du temple. Wu Chang court se jeter aux pied du vieux moine :
    - Maître, pardon ... écoutez-moi, je vous en supplie ...
    Surpris par cette appartion imprévue, les jeunes moines se ressaisissent rapidement. Ils entourent Wu Chang en se mettant en garde, prêts à attaquer au moindre geste de l'intrus.
    Arrêtez, ordonne le vieux moine. Ce n'est qu'un enfant ! Les moines rengainent leur arme.
    - Qui est-tu mon enfant ? Tu as une drôle de façon d'entrer chez les gens. Que veux-tu ?
    - Maître, supplie Wu Chang, j'ai marché de longues journées pour venir jusqu'à vous. Je vous en prie, prenez-moi comme disciple.
    Tout en jaugeant Wu Chang, le vieux moine lui demande:
    - Pourquoi veux-tu apprendre les arts martiaux ?
    - Maître, je ne suis qu'un pauvre orphelin. Je n'ai rien dans ma vie.Mais, si vous m'enseignez les arts martiaux, je pourrais me rendre utile plus tard en protégeant les faibles et les opprimés.
    - D'où viens-tu mon enfant ? Qui t'a dit de venir ici, au temple ?
    - Je viens du village de Peichan dans la province de Heibei. Il y a quelques jours un chevalier errant m'a sauvé la vie. Il a étudié avec les moines de Shaolin et m'a conseillé de venir chez vous si je voulais apprendre les arts martiaux. Votre réputation est grande.
    - Ce temple est un lieu saint. Il a été construit sur l'ordre de notre empereur il y a deux siècles déjà, pour accueillir le saint Fo Tuo. Plus tard, Ta Mo est venu enseigner la méditation et les arts martiaux. Les moines de notre temple s'adonnent à ces deux voies. Il leur est arrivé dans le passé d'aider l'empereur quand il était en danger.
    - Maître, je vous en supplie, laissez-moi devenir votre disciple.
    - Mais, pas si vite. Sais-tu que la voie des arts martiaux est très ardue ? Il faut beaucoup de courage et de travail répondit le moine, qui se met à exécuter une sorte de danse. La vitesse de ses mouvements est telle que tous ses gestes produisent un sifflement dans l'air. Il poursuit :
    - Quand tes mouvements émettront ce sifflement, tu pourras travailler avec moi. Mais auparavant, tu te joindras aux autres moines.
    De ce jour là, Wu Chang pratique sans relâche avec les autres moines. Il met toute son ardeur à acquérir la forme technique et la vitesse.
    Deux années se sont écoulées. Wu Chang a travaillé sans relâche avec dans la tête la promesse du moine abbé. Depuis quelques temps déjà, ses mouvements émettent un sifflement qui rappellent celui du vieux maître, quand il avait démontré le premier jour, un tao.Il comrend alors qu'il est temps d'aller trouver le vieil abbé. Un soir, il décide à aller frapper à la porte de la petite maison retirée des bâtiments principaux du temple, où il vit. Mais en arrivant, il entend un vacarme inhabituel en ces lieux. Il fait le tour de la maison ... Et jette un coup d'oeil par la fenêtre. Ce qu'il voit le méduse.
    - Non ... le vieil abbé s'enivre. Ce n'est pas possible ... les règles de Shaolin interdisent la boisson. Mais que se passe-t-il donc ? Tout-à-coup le vieux moine titube et tombe.
    Wu Chang s'empresse d'aller vers lui pour l'aider. Le coeur troublé, il ouvre les battants de la porte d'entrée de chez le vieux moine. Au moment où Wu Chang veut relever le vieux moine, celui-ci l'arrête d'un petit signe de la tête. Il continue à tituber, à tomber, à se relever. Au bout d'un moment, le vieux moine s'arrête net. Il ne semble pas du tout ivre. Et pourtant, perplexe, Wu Chang l'avait bien vu boire et tituber comme un ivrogne. Le vieux moine lit dans les yeux de Wu Chang et dit:
    - C'est la forme de l'homme ivre. C'est moi qui l'ai créée. Mais dis-moi, que fais-tu chez moi à cette heure ?
    - Maître, je suis venu vous dire que mes mouvements sont à présent assez corrects pour me permettre de vous rappeler votre promesse de me prendre pour disciple.
    - Ecoute-moi bien. Je vais te raconter mon histoire. Quand j'étais plus jeune, comme toi j'ai été révolté par l'injustice des hommes et des nobles qui nous gouvernent. J'ai appris les arts martiaux.
    Après l'avoir longuement regardé, le vieux moine lui dit :
    - Assieds-toi et écoute bien. J'ai pris mes armes pour combattre les ennemis du peuple. J'étais devenu général. Ma vie toute entière a été consacrée à cette lutte pour le bonheur de notre peuple. Mais, il y a de cela plus de dix ans, j'ai été vaincu dans une importante bataille. Alors, j'ai pris la décision de me raser la tête, de changer de nom et de venir en ce temple pour me retirer de la vie.
    - Certains soirs, je n'arrivais pas à oublier mon peuple qui souffre. Le fiel du désespoir envahissait inexorablement mon coeur, alors je me mettais à boire. Peu à peu, j'ai crée la forme de l'homme ivre. Aujourd'hui encore, je vis avec le regret de ne pouvoir réaliser mon rêve. Mais toi, Wu Chang, quand je t'ai vu pour la première fois, j'ai senti cette flamme en toi. Je vais te transmettre mes connaissances et tu réaliseras ce que je n'ai pu faire!
    En entendant ces mots, Wu Chang tombe aux pieds du moine en signe de reconnaissance.
    - Suis-moi ! Le vieux moine donne à Wu Chang sa première leçon. A partir de cet instant, chaque nuit, à l'heure où le temple est plongé dans le sommeil, Wu Chang va rejoindre le vieux moine en un endroit retiré du temple, pour apprendre. Le vieil abbé lui enseigne toutes ses connaissances secrètes.
    Trois années s'écoulèrent ainsi. Une nuit, le viel abbé demande à Wu Chang de le suivre. Ils se dirigent vers le lieu d'entraînement des moines. Là mù, quelques années plus tôt, Wu Chang a vu le maître briser d'un coup du tranchant de la main une colonne de pierre.
    - Wu Chang, tu vois cette colonne de pierre ? Tu t'en souviens ? Je veux savoir si tu as bien assimilé mon enseignement. Brise-la avec ton poing. Wu Chang se concentre, exécute la technique de la mante religieuse, comme il a vu faire le vieux moine quelques années auparavant. Puis, il s'approche de la cible. Il rassemble toute son énergie dans ses bras et ses jambes et délivre un coup d'une puissance phénoménale. La colonne se brise! Le moine heureux éclate d'un grand rire tonitruant :
    - A présent, je n'ai plus rien à t'apprendre. Tu peux descendre de la montagne et faire ton chemin seul. Les paroles du vieux moine résonnent encore dans sa tête, lorsque Wu Chang quitte les murs du temple pour aller vers sa destinée.


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