• la légende de la maison maudite

    Depuis trois jours et trois nuits le vent faisait battre les volets qui étaient sur le point de rompre, et la maison elle-même semblait vouloir s'effondrer. La pluie incessante et glacée assombrissait le ciel, ce qui donnait cette étrange impression que le jour ne se lèverait jamais. La triste et lugubre maison était plantée bien haut sur la falaise et nul ne l'approchait jamais. Pourtant dans le village juste en contrebas, chacun la connaissait, ou du moins avait entendu parler de la maison malveillante...
    Les plus jeunes ne s'y intéressaient pas beaucoup et ne prêtaient guère attention aux légendes qui s'y rattachaient, destinées uniquement à combler les longues soirées d'hiver dans ce pays où le climat était si rude qu'il était presque impossible de sortir durant au moins quatre mois de l'année. Pour leur part, les anciens savaient bien, eux, que ce n'était pas une légende et qu'un jour prochain les événements confirmeraient leurs dires... Et ce jour était proche. Octave, le doyen du village le savait mieux que personne, et il avait été désigné par le conseil des sages pour empêcher sa venue. Depuis toujours, les villageois étaient persuadés qu'il en savait plus que les autres, qu'il avait vécu des événements hors du commun. Bien qu'il ne l'ait jamais confirmé, il ne l'avait jamais démenti non plus. Il était d'ailleurs toujours très mystérieux et renfermé. Dès qu'une tempête se levait, il s'enfermait chez lui et n'en ressortait plus avant qu'elle ne fût passée. Son comportement devenait alors très étrange, il scrutait tout dans le village de son regard limpide et profond. Comme s'il cherchait à s'assurer que tout était encore comme avant. Cette suspicion ne lui valait pas que des amis. Même si certains n'osaient le dire, ils avaient peur de lui et ne lui faisaient pas confiance, pensant qu'il avait jadis été plus acteur que témoin et que si la malédiction devait revenir, se serait sans doute par lui et à cause de lui. Octave savait bien que tout allait se décider cette nuit-là. Il avait dû laisser passer ces trois premiers jours et ces trois premières nuits de cette troisième tempête de la saison. Il aurait pu refuser, mais il comprenait bien qu'il soit le seul à pouvoir faire quelque chose et qu'à 78 ans il n'aurait peut-être pas l'opportunité d'une prochaine saison. En fait, il n'avait pas le choix, il attendait depuis trop longtemps déjà. Il s'était retranché dans sa petite et modeste demeure dès le début de ce déluge et il préparait minutieusement son excursion vers le haut de la falaise, vers la maison maudite. Il devrait passer par de tout petits chemins escarpés que personne n'avait plus empruntés depuis des lustres et qui avaient sans doute été rendus impraticables par la pluie torrentielle. Ce périple pourrait bien lui être fatal, il pourrait bien ne jamais atteindre la maison ou être si fatigué en arrivant à son seuil, qu'il ne serait plus capable de rien. Par prudence, il préféra partir le matin même et il se reposerait autant que possible en chemin. Quelque nourriture consistante et peu encombrante dans le vieux sac à dos, seul héritage de son père, des vêtements chauds recouverts d'une cape de toile épaisse et imperméable. Il ne lui manquait plus que son bâton de marche pour prendre la route qui le conduirait hors du village, en direction de son destin
    Personne ne lui adressa la parole, et tous baissaient la tête sur son passage. Seuls les enfants, incrédules, lui faisaient une haie d'honneur en le traitant de vieux fou sénile, et Henry, de loin le plus terrible, lui lançait des giclées de boue. Ils ne se doutaient pas qu'il avait entrepris ce périple sans retour pour eux, pensant que plus tard ils raconteraient à leurs propres petits-enfants l'histoire du "vieil homme fou" qui partit pour ne plus revenir, à cause d'une légende qui bientôt serait oubliée... La préparation d'Octave avait été tant psychologique que physique et matérielle. Il allait marcher et grimper lentement, courbé comme un vrai montagnard le ferait pour préserver ses forces face à une ascension délicate. Mais son fardeau n'était pas dans son petit sac, sa peine était son fardeau et son secret, son terrible secret que nul ne devrait jamais connaître et dont il allait enfin se libérer... Il s'arrêta net, à quelques mètres seulement de la sombre bâtisse, terrifié par le sifflement strident du vent qui semblait y avoir élu demeure et qui y était visiblement le maître. Gare à l'impudent qui oserait le défier en pénétrant. Pourtant, du bout de son bâton, Octave poussât fiévreusement la lourde porte qui, dans un grincement à glacer le sang, s'ouvrit sans effort, comme s'il eut été naturel qu'elle laissât passer cet homme. À l'intérieur, le bois de la charpente craquait, le toit semblait vouloir s'effondrer sur l'intrus, laissant des cascades d'eau filtrer au travers de la chaume... Fourbu, il mit un genou en terre, se signât, et priât pour avoir la force de passer cette nuit et peut-être même de rentrer chez lui le lendemain matin. Mais il n'en fût rien. Au village, personne ne dormait, même pas les enfants, qui, cette fois ci, ne criaient plus et restaient sans bouger, blottis contre leurs parents, tous essayant de distinguer la maison au travers des gouttes qui leur lacéraient le visage. Il ne manquait que Henry, dont personne n'avait remarqué l'absence depuis le départ du vieil homme... C'est au milieu de la nuit que trois éclairs d'une violence peu commune frappèrent la maison sur son faîte. Ils furent si violents que les villageois durent fermer les yeux et se protéger de leurs mains pendant plusieurs minutes. Ils étaient persuadés que la maison était entièrement détruite et que très probablement elle avait brûlé. La pluie cessa soudain et l'atmosphère lourde et pesante semblait se détendre, provoquant un sentiment de soulagement et de sérénité que tout le monde appréciait. Quelques heures plus tard, au petit matin, sous le soleil, quelques hommes se décidèrent à aller au-devant d'Octave. Ils furent surpris de trouver la vieille maison encore debout et visiblement dans un parfait état. Par contre et malgré de nombreuses battues organisées dans les jours qui suivirent, nul ne revît jamais le vieil homme, ni ne retrouva son corps. Seul son bâton de marche fût découvert planté en l'exact milieu de l'unique pièce.
    "Nul ne connût ou ne connaîtra jamais le terrible secret du vieil homme fou", précise Henry, appuyé sur son bâton de marche, en racontant à ses petits-enfants "la légende de la maison maudite".


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