• la pie et le moineau (2)

    Le lendemain matin,un ami, un homme d'une grande sensibilité, arriva chez moi bouleversé. Il me raconta, plein de passion, l'histoire suivante :
    - Ce matin, j'ai vu une scène terrible. En pleine rue, une pie s'acharna sur un moineau. Elle faisait de puissants mouvements de la tête et lançait d'impitoyables coups de bec sur le petit moineau qui essayait désespérément de fuir cet enfer. Cette situation me toucha tellement que je suis descendu de voiture pour aider le petit oiseau. J'ai fait fuir la pie qui vola jusqu'à un muret tout proche et j'ai croisé la rue pour prendre le moineau blessé et le cacher entre les broussailles afin de lui donner une chance de se récupérer. Mais alors que je rentrais dans la voiture, la maudite pie se lança à nouveau sur le moineau. Je suis sorti furieux de la voiture, je l'ai chassé à nouveau et j'ai pris le petit moineau. Je l'ai mis dans la voiture pour l'amener chez moi et le soigner, loin de la portée de cette pie assassine. Il avait une vilaine blessure à l'oeil et au cou et pendant que je préparais ce qu'il fallait pour le soigner, il expira dans ma main. Je l'ai enterré dans mon jardin.
    Mon ami est un homme au grand coeur, il fut donc surpris quand je lui dit en riant qu'il avait été bien méchant. Il me répondit en disant qu'à sa place j'aurais sûrement agit comme lui. Cela ne fit qu'accroître mon hilarité, je pouvais à peine parler tant je riais. Comme je suis également " un homme au grand coeur " et étant donné que ma posture lui paraissait surgie d'une autre planète, j'ai essayé, pour le bien de notre amitié, de lui expliquer pourquoi je ne partageais pas sa vision des choses.
    Je lui ai dit :
    - N'as tu pas pensé que la pauvre pie avait peut-être réuni ses dernières forces pour attraper le moineau et que tu l'as peut-être laissée au bord de l'inanition ?
    Et j'ai ajouté, ironique :
    - Et que deviendront les pauvres petits bébés pies, faméliques, qui espèrent un repas qui jamais ne viendra ou qui attendent leur pauvre mère qui gît maintenant, épuisée, quelque part, sachant que ses petits mourront sans son aide ? Et qu'en est-il du pauvre moineau qui avait réuni ses dernières forces pour mourir en luttant dans cet inégal combat pour la vie et qui a souffert une longue agonie dans ta voiture car tu n'as pas permis à son ennemie de l'achever ?
    Sa mort fut inutile, stérile et son agonie plus longue qu'il n'en fallait. Mais peut-être était-ce là ton destin et celui de ce moineau, de cette pie et de ses petits affamés.
    Cela n'était évidemment pas une explication, mais une invitation à essayer de voir la réalité sous un autre angle.
    Il y a trois manière de faire les choses : la bonne, la mauvaise et celle d'un guerrier.
    Un guerrier considère toute chose, tout événement comme quelque chose de magique, de spécial, comme une occasion unique pour accroître son niveau de conscience. Il profite de son centimètre cube de chance pour regarder en lui-même. Peu importe qu'il s'agisse de chance ou de malchance. En réalité, les mots «bien ou mal" ne font pas partie du vocabulaire vital du guerrier. La manière d'être du guerrier se trouve au-delà du bien et du mal. Pas au-dessus ! Mais très loin.
    La vision morale du monde est un piège dans lequel le guerrier ne peut se permettre de tomber. Un piège misérable où l'appât tendu à notre ego n'est autre que celui de nous croire «meilleurs» , de nous sentir «bons» .
    Quand tu essayes de faire «le bien» , paradoxalement tu produis le mal en t'enfermant et en enfermant le monde dans un cercle sans fin, dans une roue interminable.
    Quand nous avons chaud, nous faisons marcher l'air conditionné et que produisons-nous ? Plus de chaleur ! Ce qui fait que de plus en plus de gens nécessiteront l'air conditionné, ce qui produira plus de chaleur, etc...
    - Et que fait un guerrier qui meurt de chaud ?
    - Il prend une bonne douche froide !
    La voie du guerrier est la voie du sage, la seule qui rend digne tout ce qu'elle touche, la seule qui nourrit toujours, qui féconde l'esprit et la matière et qui, sans le chercher, régénère le monde. Le monde, pour le guerrier, n'est rien d'autre qu'une description, une paire de lunettes que nous portons.
    - Pourquoi as-tu choisi de t'identifier à la victime ?
    - Pourquoi n'as-tu pas choisi d'admirer la dextérité, le pouvoir et l'habilité du chasseur ?
    - Pourquoi n'as tu pas choisi l'étonnement devant la force de la vie, de l'évolution ?
    - Tu veux dire que mon attitude fut mauvaise ? J'ai agi en toute bonne foi...
    - Je ne te juges pas en termes de bien ou de mal et tes intentions ne m'importent pas non plus? Je te parle ici de te rendre compte, de comprendre que la pie n'était ni bonne, ni mauvaise. Je te parle de tout ce que tu perds en choisissant de vivre cette expérience seulement du point de vue sentimental.
    - Alors les guerriers n'ont pas de sentiments ?
    Les guerriers ont des sentiments, des sentiments beaucoup plus profonds que les sentiments habituels car ils proviennent d'un vécu sans préjugés. Le sentimentalisme est l'expression égoïste du sentiment. On projette sur soi-même le malheur de l'autre, parce qu'on sait que cela peut aussi nous arriver. Les sentiments du guerrier sont d'une grande intensité, de ceux qui déplacent les montagnes, de ceux qui changent la direction d'une vie. Ils ont le pouvoir de te régénérer, de te stimuler, un pouvoir que le sentimentalisme jamais n'aura.
    - J'ai eu de la peine pour le moineau?
    Pour un guerrier, l'attitude ne peut être autre que celle de reconnaître et d'être saisi par l'insondable mystère de la vie et de la mort. Y a-t-il un sentiment plus éclatant, plus puissant, que l'étonnement, l'admiration sans limite devant tout être et toute chose ?
    Peut-il y avoir quelque chose de plus stimulant que de te sentir être partie du Tout, du « grand jeu « de la vie et de choisir comment tu veux la jouer ?
    - Tu as choisi de te sentir important, d'intervenir, d'être « maître du monde « , peut-être arbitre, dieu tout puissant qui intervient sur le destin du moineau, croyant qu'ainsi tu dominerais le tien, croyant en définitive que, peut-être pour un moment, tu tromperais ta propre mort. Ta position fut égoïste. Tu n'as pris en compte que tes sentiments ,pas un instant tu ne t'ai arrêté pour essayer de voir les choses du point de vue de la pie. Que dirais-tu si, au restaurant, un type s'approchait de toi et t'ôtait ton bifteck frites en criant que tu es un assassin mangeur de cadavres ?
    - Ce n'est pas la même chose ! Je n'ai pas tué cet animal !
    - Bien sûr que c'est la même chose, il s'agit de deux animaux qui se retrouvent sans dîner parce qu'un imbécile leur a ôté leur repas.Le guerrier respecte le monde non pas par imposition morale, mais par humilité. Il connaît sa finitude, sa petitesse et ses limites devant les grandes forces de la nature et c'est précisément cela qui le rend grand. Il sait que derrière chaque acte, chaque événement, se cache un message, une force qu'il doit extraire, car il a besoin de toutes les forces pour atteindre son objectif, celui d'accroître sa conscience et son pouvoir, et sur cette voie, sa morale est la même que celle d'un pirate sans pitié.
    L'étroit sentier sur lequel nous cheminons, suivant notre destin, est toute notre liberté. Et « liberté « signifie pouvoir choisir d'agir ou pas à chaque instant.
    Un guerrier ne choisit pas une chose ou une autre systématiquement, il choisit toujours de regarder d'abord en lui-même, il prend ce qui lui appartient et avance impeccablement suivant son destin. C'est sa manière d'être témoin impartial, c'est sa manière d'amasser du pouvoir et d'accroître sa conscience.
    Mon ami non seulement paraissait perdu devant mes explications, mais également contrarié par mon discours.
    - J'ai eu de la compassion pour cet animal, est-ce si horrible que cela ?
    - Tu as décidé de sympathiser avec la victime et en le faisant tu ne t'es pas libéré de ton destin, et le moineau non plus bien sûr. La seule chose que tu as fait, c'est t'inscrire sur la liste des victimes.
    Chaque acte, chaque décision, nous rend plus ou moins libres. Sympathique « provient du grec « sym « qui signifie « avec « et « pathos « qui veut dire « passion « .
    - Ta « sym-pathie « , ta « com-passion « , signifie que tu t'es identifié, que tu as décidé de vibrer sur le même plan que la victime, mais comme je te le disais avant, cela n'est qu'un choix. Ce qui rend « bonne « la victime à tes yeux est la même chose qui rend « mauvais « l'agresseur et c'est seulement ta description de cet événement. Les choses simplement "sont" ensuite nous arrivons et nous leur donnons un nom.
    - Ce n'est pas le fait qu'elle l'attaque, mais comment elle le faisait ! Avec quel acharnement ! Avec une violence et une agressivité terrible. Je n'ai pas pu faire autrement que sentir de la compassion pour le pauvre moineau.
    Comme il était évident qu'il ne comprenait pas ce que j'essayais de lui dire, j'ai décidé de prendre un exemple :
    - Je vais te raconter une autre histoire d'oiseaux, une histoire de pouvoir, une histoire véridique que j'ai vécu personnellement le jour où j'ai découvert qu'il y a un « au-delà « de la compassion. Une histoire qu'heureusement j'ai vécu devant témoins, le jour où j'ai chassé avec une mouette. Un petit Satori avec un tas de circonstances impossible à répéter qui changea définitivement mon destin.


    à suivre


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