• le chat de platine

    le chat de platine
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    Voici comment les choses se passèrent.
    On avait enfermé le bandit supposé au wagon-restaurant, dans le logement des cuisiniers, qui venaient de se lever. M. Laitance, toujours sanglotant, était attaché au montant des lits par la chaîne des menottes. Dans cette position, il faisait face à la fenêtre, où défilaient en ce moment les premiers contreforts du Vercors.
    Tous les voyageurs, définitivement réveillés par les événements précédents, se lavaient, s'habillaient, circulaient confusément dans les couloirs. Tour à tour, Marinon et Jean-Jacques, se rendant au cabinet de tolette, recevaient l'assistance familière de la vieille bonne, laquelle, ensuite, y conduisait Colonel. Le canard, en effet, ayant été sage au cours du voyage, avait droit à cette récompense. A l'autre bout du wagon spécial, le ras et son chambellan prolongeaient leurs ablutions, à la mode de leur pays, dans une énorme bassine de cuivre placée au milieu du corps de garde. Les agents passaient les serviettes. Déjà quelques affamés demandaient au restaurant le petit-déjeuner.
    C'est alors que la porte du cachot improvisé s(ouvrit avec précaution...
    Une minute plus tard, M. Colerette, qui beurait ses toasts, entendit un léger rire, qui fut suivi d'un cri déchirant.
    Cette clameur fut également perçue par tous les occupants du wagon spécial. De sorte que, lorsque le détective bondit dans le couloir, il se heurta au ras, au chambellan, aux policiers, aux deux enfants, à Sidonie, au canard, plus une douzaine de voyageurs inconnus.
    - Je vous en supplie, dit au ras M. Colerette, restez dans vos compartiments, sinon je ne réponds plus de rien.
    Lipari-Mahonen se retira dignement. Mais il n'avait pas perdu son temps : au dos de plusieurs personnes se balançait un petit polichinelle suspendu à un élastique...
    Sans s'arrêter à ces enfantillages, le "cerveau numéro un" poussa la porte du réduit où il avait enfermé son prisonnier. Celui-ci, toujours enchaîné au montant du lit, gisait inerte sur le plancher. Autour de sa tête, un cercle rouge s'élargissait...
    Aidé du chef de train et d'un garçon de restaurant, le détective releva le blessé, le soigna. On ne lui trouva qu'une déchirure du cuir chevelu; mais quand même il l'avait échappé belle ! Le coup donné par un instrument dur et pointu, avait porté fort près de la tempe.
    - Un tel coup, fit remarquer M. Colerette, notre suspect n'a pu se le donner lui-même. D'ailleurs, s'il avait voulu se suicider, il n'aurait pas ri, puis crié.
    Cette déduction fut corroborée par une découverte qu'on fit dès que M. Laitance, encore pourvu de ses menottes, fut étendu sur une banquette du wagon spécial. La poche extérieure gauche de son veston contenait un paquet, qui ne s'y trouvait pas lors de l'arrestation, et que l'architecte de jardin n'avait pu y mettre lui-même. Dans ce paquet, il y avait un masque noir, du type "loup", et un domino double-six.
    Or, voici ce que raconta le gros petit homme :
    - Je me désolais de la mésaventure qui m'arrive. Perdre mes lettres d'introduction, et être accusé de vol, c'était plus que je n'en pouvais supporter. A force de pleurer, je tombai dans une sorte de somnolence. J'en fus tiré par une sensation étrange : j'avais envie de rire !... Il faut vous dire que je suis très chatouilleux; que seulement on m'effleure les hanches ou les côtes, je me tords; c'est plus fort que moi. Eh bien, il en était ainsi : quelqu'un, que je ne voyais pas, j'étais tourné vers la fenêtre, frpolait le côté gauche de mon abdomen. C'est à ce moment que je poussai un bref éclat de rire, qui dut inquiéter le mystérieux personnage. En tout cas, sa réaction fut immédiate. Avant que j'eusse pu tourner la tête, un coup terrible m'étais asséné, à la base du crâne. Je tombai évanoui, non sans avoir crié de toutes mes forces. C'est tout ce que je peux vous dire.
    Pour toute réponse, M. Colerette enleva les menottes.
    - Vous me délivrez ! fit M. Laitance, ravi.
    - Avec mes excuses. Un homme intelligent doit savoir reconnaître ses erreurs. Il est clair, maintenant, que vous ne faites pas partie de la bande contre laquelle je combats. En effet, vous venez d'être victime d'un membre de cette bande. Voici ce qui s'est passé. Les vrais voleurs voulaient accroître les charges qui pesaient sur vous et qui, dans une certaine mesure, les mettaient à couvert. L'un des bandits a glissé dans votre poche le masque dont le voleur s'est servi la nuit dernière, et le domino, sans intérêt par lui-même, qui sert à ces gens d'insigne ou de signe de reconnaissance. Votre exceptionnelle sensibilité a contrarié le plan de l'astucieux individu. Vous avez ri. Il a craint que, tournant la tête, vous ne voyiez sa figure. Et il vous a frappé, sans doute avec un marteau ou un coup-de-poing américain.
    - C'est puissamment raisonné, dit M. Laitance. Mais si vous ne m'aviez pas arrêté inconsidérément...
    - Avant de mettre la main sur le coupable, dit M. Colerette, il est d'usage que le détective arrête successivement un ou plusieurs faux coupables, en se fondant sur des indices tout semblables à ceux qui vous accusaient. Vous avez logé avant-hier à l'Hôtel Impérial...
    - Où il y a trois cent cinquante chambres !...
    -...Votre physionomie et vos allures appellent le soupçon...
    - Sapristi, j'ai la physionomie et les allures que je veux ! Parce que mon regard est fatal, et que j'aime les chapeaux à la Rubens, est-ce qu'on va m'attibuer tous les crimes et délits qui se commettent alentour dans un rayon de cent kilomètres ?
    - Votre valise contient des postiches et une boîte de maquillage...
    - Pourquoi pas ? Je suis comédien-amateur ! Depuis mon enfance, j'ai toujours eu le goût des déguisements. Est-ce défendu par la loi ?
    - Etc... Etc... N'insistez pas. Vous n'êtes resté prisonnier que quelques heures. Et je vous mets dès à présent hors de cause.
    - Vous êtes bon, vous ! J'ai perdu ma situation et ma bonne humeur. Parce que j'ai un bonnet grenat et le nez rouge !... C'est scandaleux, tout simplement !
    Pendant que se poursuivait ce débat, Marinon s'était glissée vers le chef de train, qui tenait le domino et le masque de velours.
    - Vous permettez ? dit-elle.
    Elle examina rapidement les deux objets, les rendit, et rejoignit son frère, à qui elle dit, en langage sifflant :
    - Le domino est pareil à tous les dominos. Et à l'intérieur du masque, le velours est absolument intact. Pas un fil n'est froissé.
    - C'est bien ce que je pensais, dit Jean-Jacques. Ce masque n'a jamais été porté. Voilà qui est singulier. Pourquoi les bandits, tentant de compromettre définitivement le quidam arrêté par Vise-à-gauche, n'ont-ils pas utilisé le "vrai" masque, celui qui leur avait réellement servi ?
    - C'est une question intéressante. je vais y réfléchir, répondit Citrouille.
    Et, s'allongeant sur son lit, qu'elle n'avait pas laissé défaire, elle s'endormit profondément.

    A SUIVRE


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