• le chat de platine

    le chat de platine
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    - Qu'est-ce qu'ils fichent, en bas ?... Qu'est-ce qu'ils fichent, ces mécaniciens du diable ?
    Ainsi s'époumonait, à son banc de quart, le lieutenant Morovitchi. Il y avait dix minutes que le chadburn (mécanisme de signalisation aux machines) était bloqué sur "Stop". Mais le navire continuait invariablement sa route... C'était inouï, incompréhensible. Jamais l'officier n'avait enregistré un tel cas d'indiscipline, en vingt ans de navigation dans la marine marchande !
    Cependant, entre la chaufferie et la chambre des machines, se déroulaient des événements graves.
    Le chauffeur louche et le gringalet aux cheveux roux s'étaient jetés à l'improviste sur les deux mécaniciens de service et les avaient ligotés comme des saucissons.
    - Bien travaillé, Georget ! ricana le chauffeur. Le patron sera content. Va pousser les feux pendant que je bloque les leviers d'admission. Après quoi je surveillerai l'escalier, pour le cas où notre camarade de là-haut n'aurait pas réussi à barrer le passage aux officiers.
    Georget obéit. Il n'avait pas fait trois pas dans le couloir que son poignet était saisi délicatement par deux doigts, qu'un coup précis venait frapper son plexus solaire, qu'une force infaillible et légère le basculait dans l'air comme un sac de pommes de terre, et le précipitait dans une soute à charbon.
    - Et d'un ! fit Marinon, en se frottant les paumes.
    - Qu'est-ce que tu fais, Georget ? cria le louchon. Tu renverses quelque chose ?... Attends, je viens te donner un coup de main.
    Dans l'entrée de l'escalier, apparaissait justement le petit maître d'hôtel, qui venait aider ses complices...
    Cependant, M. Colerette et Jean-Jacques, dans le canot automobile, se demandaient ce qu'ils allaient faire. Leur embarcation n'était pas assez rapide pour rattraper promptement l'"As de Carreau" et n'avait pas assez d'essence dans son réservoir pour soutenir une longue course.
    - De deux choses l'une, dit le jeune garçon. Ou le navire est déjà aux mains de la bande du Double-Six, ou il est encore commandé régulièrement . Dans le premier cas, mieux vaudrait gagner un port pour alerter les autorités maritimes de toute la Méditerranée centrale. Dans le second cas, le bateau stoppera tôt ou tard, et même reviendra nous chercher puisque votre aventure, mon oncle, est signalée. Inutile donc de nous dépêcher inconsidérément. Mettons le moteur au ralenti et tournons en rond.
    Le détective écoutait avec un indulgent sourire.
    - Pas mal ! Pas mal ! dit-il. tu fais des progrès en raisonnement. Néanmoins, je te prierai de...
    - Est-ce le bossu qui vous a jeté par dessus bord ? interrompit Ygrec, fort à propos.
    - Ah, le bossu !... Si je le tenais dans un coin !... Non, ce n'est pas lui qui m'a fait faire le plongeon. c'est un de ses acolytes. Ils étaient trois qui complotaient à la proue, dans l'obscurité. Leurs propos étaient d'ailleurs du plus haut intérêt. J'allais connaître le secret de la bande. Peut-être identifier M. Douze !... Malheureusement, un coup de vent a failli enlever mon chapeau. J'ai voulu le retenir. Ma main a heurté le petit mât du pavillon, avec un bruit mat. Ce fut assez. En un clin d'oeil, le plus grand des conjurés m'avait rejoint, soulevé de terre et basculé par dessus la rambarde.
    - Les propos de ces hommes vous paraissaient intéressants, dites-vous. De quoi parlaient-ils ?... de leurs projets ?
    - D'un de leurs projets, en tout cas. Sache que ces messieurs vont attaquer directement la chambre-forte où j'ai placé le Chat de Platine et les bijoux du ras. Excellente affaire à mon sens ! D'abord, parce que cette chambre-forte est vraiment forte : les parois sont même à l'épreuve du chalumeau. Ensuite parce que, connaissant la date et l'heure de l'assaut, j'attends les agresseurs de pied ferme.
    - Vous connaissez la date et l'heure ?
    - Demain à minuit, parfaitement. Nous sommes jeudi. Ce sera pour vendredi soir. Mais ne te mets pas martel en tête, mon garçon. Colerette va prendre ses dispositions. "Soyez rassuré : j'arrive". Ma devise est toujours là pour un coup !
    - En attendant, murmura Jean-Jacques, nous sommes en pleine mer, à deux heures du matin. Et le bateau...
    - Oui, à propos, où est-il ce bateau de malheur ?
    Les deux navigateurs lev-rent les yeux vers l'horizon du sud-est. Et une ecxlamation leur échappa :
    - L'"As de Carreau" a stoppé !
    - D'une main enthousiaste, le jeune garçon remit tous les gaz.
    A ce moment, la chaufferie du navire présentait un spectacle curieux.
    Il y avait trois soutes au charbon. A l'orifice de chacune, un corps humain était étendu, endormi pour le compte : le gringalet à gauche, le petit maître d'hôtel à droite, et le chauffeur louche entre les deux.
    Le premier, nous l'avons vu, avait été l'objet d'un mouvement f'épaule. Le second fut embarué dans une clé au cou. Le troisième, déséquilibré par un croc-en-jambe, alla donner du crâne contre le montant des chaudières.
    Aussitôt, Marinon bondit dans la salle des machines et coupa l'admission.
    Puis, elle délivra les mécaniciens.
    Ils venaient de reprendre leur poste, quand le capitaine Gourgourax, les yeux bouffis et la tunique mal boutonnée, surgit de l'escalier :
    - Qu'est-ce qui vous arrive, mécaniciens de mes bottes , cria-t-il, en agitant ses petits bras.
    Marinon raconta les deux batailles qui s'étaient déroulées successivement dans l'"enfer du navire". Le petit loup de mer écoutait incrédule :
    - Vous n'allez pas me faire croire, lança-t-il, qu'à vous seule, jeune personne prétentieuse, vous avez mis trois gaillards hors d'état de nuire !
    - Je suis dipl$omée en lutte japonaise, dit Marinon, baissant les yeux.
    - Quand même ! Cela ne tient pas debout !
    Haussant les épaules, le capitaine passa dans la chaufferie. On entendit sa voix qui disait :
    - Où sont-ils, vos bons-hommes ?
    - A l'entrée des soutes à charbon, répondit la jeune fille.
    Gourgourax reparut hilare :
    - Vous avez rêvé, ma toute belle !
    Marinon passa vivement le couloir. De fait, les trois bandits avaient disparu !...


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