• le chat de platine

    le chat de platine
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    De nouveau la nuit enveloppait l'"As-de-Carreau", voguant vers Alexandrie.
    De toutes les cabines de tribord s'échappaient des souffles réguliers ou des ronflements sonores. Le plus bruyant de ceux-ci sortait, naturellement, de la chambre de Marinon. Etendue à plat ventre sur le lit, la grosse fille se payait une tranche de ce sommeil qui lui était le plus grand plaisir de la vie.
    "Phaphahihisuho", "Phaphahihisuho": un sifflement léger s'insinuait dans les oreilles de la dormeuse. Tout à coup, elle reprit conscience d'elle-même, traduisit machinalement ce langage : "Continue à ronfler". "Continue à ronfler".
    C'est ce qu'elle fit, bien que maintenant elle fût tout à fait éveillée. Une ombre venait de paraître à son chevet, celle de Jean-Jacques, lequel, aussi silencieux qu'un chat, avait quitté son lit et sa cabine pour venir conférer secrètement avec sa soeur.
    Entendant les vigoureux ronflements qui continuaient à remplir la cabine de le jeune fille, personne n'eût supposé que Marinon, l'oeil bien ouvert à présent écoutait attentivement les réflexions et commentaires de son frère. Propos non exprimés, mais sifflés, dans le langage que les deux enfants avaient fabriqué à leur usage.
    - Ma vieille, il faut nous entendre tout de suite en vue de ce qui se passera la nuit prochaine, siffla Ygrec. Jusqu'à présent, malgré les maladresses de Vise-à-gauche, les choses se sont déroulées assez convenablement. Nous avons immédiatement repéré l'un des complices des bandits : le chauffeur en culotte brune, qui louchait conformément au message saisi à Marseille dans le domino double-six. Ainsi tu as pu surveiller ce chauffeur, et le mettre hors d'état de nuire au bon moment. Par contre, nous n'avions pas bien interprété le message en ce qui concernait le "steward court", ne dérivait pas ici du verbe courir, c'était simplement le contraire de "long". Le steward court désignait le petit maître d'hôtel. Faute d'en être sûrs, nous avons négligé de tenir ce nabot d'assez près; et tu l'as laissé échapper lorsqu'il allait au rendez-vous de M. Douze. A ce rendez-vous, notre bon oncle a assisté, par le plus grand des hasards. Hélas ! avant la fin il a commis sa gaffe quotidienne; ce qui lui a valu un bain nocturne. Je l'ai tiré d'affaire, le cher homme, et j'en suis heureux. Mais il n'a pu me répéter qu'une partie des propos tenus par les bandits, lors de cette réunion ténèbreuse. J'ai su seulement que nos adversaires devaient attaquer le lendemain soir, c'est-à-dire vendredi.
    - Ronfle à ton tour ! siffla précipitamment Marinon.
    Elle venait de se dresser avec agitation. Sans hésiter, Jean-Jacques se dépécha d'imiter, d'ailleurs à la perfection, les ronflements de sa soeur. Celle-ci, toujours en langage sifflant, demanda :
    - Quels sont les mots exacts que notre oncle t'a rapportés ?... Il s'agit du moment choisi pour l'attaque, par la bande du Double-six.
    - Tu le sais bien. Ils ont dit : "Demain soir".
    - Et notre oncle t'a rapporté cela quel jour, à quelle heure, exactement ?
    - Aujourd'hui jeudi, à une heure du matin. Nous étions tous les deux dans le canot automobile.
    - Espède d'âne, espèce de crétin bafouilleur ! siffla Citrouille sur le ton de la plus grande indignation. Vise-à-gauche te répétait cela ce jeudi à une heure. Mais les bandits l'avaient dit trois heures plus tôt, c'est-à-dire le mercredi à dix heures. Dans leur bouche, "demain soir", ce n'était donc pas le vendredi soir, mais le jeudi soir. Autrement dit, en ce moment même !
    Comme Marinon achevait cette dernière phrase, un violent craquement se fit entendre à l'étage inférieur. Jean-Jacques était déjà filé, non plus comme un chat, mais comme un zèbre.
    S'étant habillée à la six-quatre-deux, Marinon voulut le suivre. Mais la vieille bonne, réveillée sans doute par le craquement, courut après elle dans le couloir :
    - Vous allez prendre froid ! Je devrai encore vous faire des bains de pied à la moutarde.
    - Laissez-moi, Sidonie, jeta la jeune fille, que la pauvre niaise retenait par le bras, avec l'énergie de la stupidité.
    - Au moins, venez prendre votre écharpe.
    On entendait déjà Colonel qui, effrayé par le tapage, poussait des coins-coins angoissés. Marinon, l'écharpe à la main, fila vers l'escalier. Elle fut rejointe en route par Tifon-Palamos et par M. Laitance en tenue légère.
    A l'étage inférieur, tout était de nouveau tranquille. A pas de loup, le chambellan entra dans la chambre du ras. Dans son lit entouré du paravent réglementaire, Sa Seigneurie dormait à poings fermés. Tout était en ordre dans son salon, dans son bureau... Au bout du couloir, Jean-Jacques examinait l'énorme construction d'acier où l'on avait enfermé le trésor.
    - Eh bien ? demanda Marinon anxieusement.
    - Eh bien, la chambre-forte semble intacte. La porte... L'encadrement... Les parois de côté... Pas de trace de coups. Pas même une griffure.
    - Pourtant nous venons d'entendre un bruit caractéristique !
    - Nous avons tous rêvé, opina Tifon-Palamos.
    - Retournons nous coucher, baîlla M. Laitance.
    - Jamais de la vie ! protesta Jean-Jacques. Il faut éclaicir ce mystère. Sans contredit, il vient de se passer ici quelque chose de grave. Attendez-moi une seconde. Je vais chercher mon oncle.
    M. Colerette, qui n'avait rien entendu, se leva de très mauvaise grâce.
    - Puisque je te dis, bougre de clampin, que rien ne doit arriver cette nuit !... Demain soir ! Je l'ai entendu de mes oreilles : demain soir !
    Néanmoins, il endossa sa robe de chambre bleue, brodée des signes du zodiaque, et suivit son neveu jusqu'à la chambre-forte.
    - Vous êtes des enfants soupira-t-il. Vous voyez bien qu'on n'a pas touché à ce coffre. Et pour cause ! Il est à l'épreuve des instruments les plus perfectionnés.
    - Si vous l'ouvriez quand même, pour voir, proposa Marinon.
    - Quelle puérilité !... Enfin soit ! Mais c'est bien pour vous faire plaisir.
    Le détective composa le mot, fit jouer la combinaison, leva les verrous, fit tourner les clés, qu'il détacha d'une petite chaîne suspendue à son cou. Le lourd battant pivota sur ses gond, découvrant d'abord les bijoux, dont pas un ne manquait. puis, le compartiment spécial où l'on avait placé le Chat de Platine.
    D'une main assurée, M. Colerette écarta le couvercle de ce compartiment. Et la bouche du détective s'arrondit, ses yeux s'écarquillèrent...
    Le compartiment était vide.


    A SUIVRE


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