• le chat de platine

    le chat de platine
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    - Vous êtes un menteur M. Colerette, dit le ras, hors de lui. Et je vous le prouve. Si mon bruiteur officiel, l'ex-passager clandestin, n'avait pas déniché ce matin le trou dans la porte condamnée, je ne vous aurais pas interrogé et vous ne m'auriez pas avoué, à midi et demi, la défaite honteuse que vous avez subie la nuit dernière. Le Chat de Platine enlevé !... La merveille de Gondar aux mains des brigands !... C'est atrove !... Vous êtes un menteur, Monsieur le détective. Un menteur et un incapable. Je ne sais pas ce qui me retient de vous faire scier entre deux planches.
    Souriant, M. Colerette attendait respectueusement la fin de cette diatribe. Puis, il dit ces mots inattendus :
    - J'ai l'honneur d'inviter Votre Seigneurie à visiter les travaux artistiques de mon neveu.
    Le ras devint cramoisi de fureur. Avant qu'il n'éclatât de nouveau, le fameux limier avait repris, d'une voix insistante :
    - J'ai lieu de croire qu'après cette visite, le noble ras ne me traitera plus de menteur ni d'incapable, que son excellente humeur sera revenue, et que, sans le moindre souci désormais, il reprendra le cours de ses occupations seigneuriales.
    Cette déclaration était si formelle, que Lipari-Mahonen, impressionné, referma la bouche, et suivit docilement le détective. Derrière eux s'avançait ke cortège officiel, composé de Tifon Palamos, de M. laitance, d'Adalbert Maldefeu, de la princesse Nalkis et de sa gouvernante. Celle-ci murmurait, dans son habituel langage :
    - Souvent la plus violente crise finit par un coup de surprise.
    Tout le monde entra dans le salon où Jean-Jacques, en blouse de sculpteur, se tenait modestement devant son groupe : Les deux lutteurs.
    Comme on le sait, ce groupe était constitué purement et simplement de deux parallélipipèdes juxtaposés.
    Quand tout le monde se fut rangé autour de la table sur laquelle figurait cette étrange oeuvre d'art, M. Colerette fit un signe. Et Jean-Jacques, les yeux baissés, déclara ce qui suit :
    - Je suis très sensible à l'intérêt que de si hautes personnalités témoignent à mon oeuvre... Je me permets de souligner que celle-ci ne comporte pas seulement un modelé extérieur en relief, que vous voyez, mais encore un modelé intérieur en creux. Pour vous le montrer, nous allons, ma soeur et moi, séparer les deux parties du groupe sculpté.
    Marinon, qui venait d'entrer avec le capitaine et le lieutenant du navire, franchit le cercle. Le frère et la soeur, prenant les blocs par le haut, les firent basculer de part et d'autre. Entre les deux, un objet apparut... Un ci d'étonnement et de joie s'échappa de toutes les bouches.
    Le ras, aux anges, prit le Chat de Platine et le pressa contre son coeur :
    - M. le détective, dit Sa Seigneurie avec majesté, je retire ce que je vous ai dit tout à l'heure. Et pour reconnaître vos éminents services, je vous décore de l'Etoile à dix-sept branches, la plus haute décoration que le gouvernement abyssin puisse conférer à un étranger.
    M. Colerette, radieux, s'inclinait jusqu'à terre. Après avoir remercié, il fit remarquer qu'à présent il fallait prendre de nouvelles dispositions pour la sauvegarde du précieux objet.
    - Voici ce que je propose, dit-il. Le Chat de Platine, placé sur la dunette, y sera gardé jour et nuit par trois d'entre nous, se relayant de trois heures en trois heures, comme pour les quarts de nuit des officiers.
    Il en fut décidé ainsi.
    Comme premiers gardiens du trésor, on choisit M. Laitance, Jean-Jacques et le lieutenant Morovitch, qui était de service. Pendant qu'ils s'installaient tous les trois, autour d'une sellette qu'on avait posée au milieu de l'habitacle, M. Colerette prenait à part Marinon.
    Le cortège du ras s'était retiré vers les cabines, en épiloguant joyeusement sur la déception des bandits, lorsqu'ils s'apercevraient qu'ils avaient volé, au lieu du vrai, un faux Chat de Platine. A la prière de son oncle, Marinon lui raconta comment Jean-Jacques et elle avaient substitué le faux au vrai.
    Depuis pas mal de temps la jeune fille avait calculé qu'un bloc de plomb, recouvert d'argent et d'étain, doit avoir à peu près l'apparence d'un bloc de platine. Au consulat d'Ethiopie, à Marseille, Ygrec avait moulé le précieux objet, pendant que M. Colerette était auprès du ras qui s'amusait à lancer des fusées. Le moule avait été porté chez Michel-Ange Olivarès, non point sculpteur, mais fondeur et ciseleur réputé. L'artiste avait confectionné le faux Chat de Platine, sur les indications du jeune garçon; et c'était ce simulacre, enfermé dans son moule, que contenait le paquet dont Jean-Jacques avait pris livraison le soir de l'embarquement.
    Peu après le départ, les deux enfants étaient arrivés juste à temps dans la petite salle où la coûteuse pièce était placée provisoirement, sous la garde du petit maître d'hôtel, à qui M. Colerette avait même donné son propre pistolet ! Or, le "steward court" était de la bande du Double-Six comme on le sut plus tard/ Il s'apprêtait sans doute à disparaître avec le Chat de Platine, quand l'experte Citrouille, survenant à pic, avait fait au nain sournois la "clé japonaise". Mais ce n'est pas le vrai joyau que Jean-Jacques avait ensuite descendu à la chambre-forte : c'est le faux ! Le vrai avait pris la place du faux entre les deux blocs à modeler où personne n'aurait eu l'idée de le chercher.
    Tous ces détails n'entrèrent pas dans les explications que Marinon donna à son oncle : elle les réduisit au minimun. Et elle présenta toute l'affaire comme une fantaisie incohérente, à laquelle s'étaient livrés les deux enfants, sans autre dessein que de se divertir.
    Répétant au ras le même récit, le détective laissa entendre, avec simplicité, que lui, Colerette, avait lui-même conçu et exécuté la substitution, par mesure de sécurité supplémentaire. Le ras écoutait avec admiration :
    - Je cois, dit-il enfin, que je peux aller jusqu'à vous donner l(Etoile à vingt-trois branches.
    Séance tenante, cette décoration imposante fut accrochée sur la poitrine du "cerveau numéro un", qui reçut à cette occasion l'accolade traditionnelle de Sa Seigneurie. D'un geste vif, Lipari-Mahonen, toujours facétieux, profita de l'accolade pour coller au décoré, entre les omoplates, une pancarte sur laquelle il était écrit : "En rodage".
    Pendant toute la journée, chaque fois que le détective rencontrait un matelot, celui-ci lui disait amicalement :
    - N'allez pas trop vite !
    Le ras et ses dignitaires se tenaient les côtes. Pendant qu'ainsi presque toutes les grandes personnes s'amusaient puérilement, Jean-Jacques et Marinon parlaient avec le plus grand sérieux. Et le premier, qui avait fini son quart, disait à la deuxième :
    - La plupart des bandits ont quitté le navire en canot automobile. Mais les chefs de la bande s'y trouvent certainement encore. A présent, ils savent que le Chat de Platine leur a encore échappé. Ils n'en resteront pas là. Dans vingt-quatre heures nous arrivons à Port Saïd. Je suis sûr que ces personnages mytérieux vont attaquer de nouveau, et que leur attaque sera terrible.
    - Elle aura lieu cette nuit même, prédit Marinon.


    A SUIVRE


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