• le mystère du candélabre

    Monsieur de Parola avait la détestable habitude de lire à table. Or ce matin-là, comme il expédiait son petit déjeuner, il tomba en arrêt devant une petite annonce de troisième page qu'il relut en fronçant les sourcils.
    - Diable, murmura-t-il, voilà qui mérite d'être examiné de près.
    Il replia son journal, avala sa dernière gorgée de chocolat, sonna son domestique et se mit à faire nerveusement les cent pas dans sa chambre.
    Il venait de lire qu'un M. Altruc, antiquaire de son état, mettait en vente au prix de 75 000 euros un magnifique candélabre du roi Jean... Depuis de nombreuses années, M. de Parola passait pour l'un des premiers experts d'Europe en oeuvres d'art. On disait son diagnostic infaillible et personne n'avait autant de flair que lui pour dénicher les pièces rarissimes. Il est facile de comprendre dès lors, l'intérêt qu'éveillait en lui l'annonce de l'antiquaire.
    - Une cravate, un veston, mes gants et mon chapeau !... fit-il d'une voix impatiente au domestique qui venait de répondre au coup de sonnette.
    L'homme s'exécuta sans mot dire et aida son maître à s'habiller.
    M. de Parola glissa un oeillet rouge dans sa boutonnière, lissa du revers de sa main sa courte moustache grise et esquissa un sourire de satisfaction. En dépit de ses quarante-cinq ans il avait conservé une ligne de jeune homme et personne n'aurait pu lui refuser une étonnante distinction.
    - Il est possible que je ne rentre pas à l'hôtel pour déjeuner, dit-il à son domestique avant de partir. De toute manière, je vous donne votre matinée !...
    Dans le taxi qui le conduisait au magasin de M. Altruc, il relut encore deux ou trois fois l'annonce qui l'avait frappé.
    - Curieux ! pensa-t-il. Vraiment curieux ! J'étais persuadé qu'il n'existait plus de ces candélabres. En tout cas, le second de la paire doit être doit être absolument introuvable !...
    Au moment où M. de Parola poussa la porte de la boutique, M. Altruc consultait un catalogue derrière son comptoir. C'était un gros homme au teint olivâtre, aux yeux sournois. Il ne lui fallut pas longtemps pour jauger son visiteur à sa juste valeur. Il se dirigea vers lui, un large sourire aux lèvres, en se frottant les mains.
    - Bonjour, Monsieur !...
    - Bonjour, répondit M. de Parola avec courtoisie. J'ai lu ce matin votre annonce concernant le candélabre du roi Jean... J'aimerais y jeter un coup d'oeil...
    - Rien de plus facile, Monsieur, veuillez me suivre...
    L'antiquaire le précéda dans un petit couloir qui donnait accès à une pièce assez vaste où s'entassaient les plus beaux et les plus rares trésors : vases, marqueterie, statuettes, ivoires, tapisseries, porcelaines...
    - Voici le candélabrer, dit-il désignant l'objet de la main. Comme vous pouvez le constater vous-même, il est absolument intact.
    - Oui, déclara M. de Parola, après l'avoir examiné quelques instants. Oui, il est magnifique.
    Il sortit son carnet de chèques et, sans un mot de plus, y inscrivit la somme qu'en demandait M. Altruc.
    - Dès que vous aurez encaissé l'argent, dit-il au marchand, ayez l'obligeance de m'envoyer le candélabre à l'hôtel d'Europe où je suis decendu pour trois semaines. Voici ma carte...
    Quelques jours plus tard, M. de Parola fit une nouvelle visite à l'antiquaire.
    - Depuis que vous m'avez vendu ce candélabre, dit-il avec enjouement, je ne rêve plus que de posséder son pendant ! Croyez-vous qu'il soit impossible de trouver le deuxième de la paire ?...
    - Je le crains fort, répondit M. Altruc en hôchant la tête... Mais je vais me mettre en campagne. Toutefois, je crois de mon devoir de vous en avertir : si le bonheur voulait que je le retrouve, je devrais sans doute le payer beaucoup plus cher que je ne vous ai vendu le premier...
    - Cela n'a pas d'importance, coupa M. de Parola avec une superbe de grand seigneur. Je paierai le prix qu'il faudra !
    Le marchand s'inclina, ébloui par une telle grandeur, par un tel mépris de l'argent. dès le surlendemain, ayant confié son magasin à un  gérant, il se mit à la recherche du deuxième candélabre.
    "Cher Monsieur,
    Je viens d'apprendre que notre candélabre se trouve chez Viviani, à Milan. Comme je vous ai chargé de me le procurer, j'ai estimé plus correct de vous avertir afin que vous puissiez faire le nécessaire. Hâtez-vous et rappelez-vous que le prix n'a pour moi aucune importance !..."
    M. Altruc admira fort l'honnêteté de son client. Il plia bagages et se rendit à Milan. Arrivé au magasin qu'on lui avait indiqué, il reconnut tout de suite le candélabre qu'il cherchait. Mais le marchand se montra intransigeant sur le prix et M. Altruc fut contraint la mort dans l'âme de le payer 150 000 euros.
    - Bah, se dit-il, puisque mon client m'a dit que le prix n'avait pas d'importance j'aurais tort de me faire de la bile ! Je lui revendrai l'objet avec un joli bénéfice !
    Trois jours plus tard, il franchissait le seuil de l'hôtel d'Europe.
    - Monsieur de Parola ? demanda-t-il.
    Le gérant eut un geste désolé.
    - Ce monsieur nous a quittés voici quelques jours, dit-il.
    - Mais, s'étrangla Altruc, est-ce qu'il n'a rien fait dire pour moi ?... Je m'appelle Altruc... Gustave Altruc, antiquaire...
    - Non, M. Altruc, je suis navré !...
    Le premier moment d'émoi passé, notre marchand essaya de se rassurer. Après tout, quelle raison avait-il de s'inquiéter ? M. de Parola qui s'était toujours conduit en gentleman, nallait sans doute pas tarder à dfonner de ses nouvelles. Il ne fallait que s'armer d'un peu de patience.
    M. Altruc attendit ainsi une semaine, deux semaines, un mois...
    Gageons que ses dernières illusions se seraient envolés s'il avait su que le propriétaire du magasin de Milan n'était autre que... M. de Parola, et que le candélabre qu'il avait acheté à prix d'or était celui-là même dont il s'était personnellement défait quelques semaines plus tôt...
    Heureusement, tout le monde n'avait pas sa naïveté. Six mois exactement après l'événement que nous venons de raconter, M. de Parola fut arrêté par la police anglaise pour escroquerie. On apprit que ce "gentleman" s'appelait en réalité Georges Lampin et qu'il avait de nombreux vols sur la conscience...


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