• les samedis de Germaine

    Germaine est à sa fenêtre, cigarette au bec, comme chaque jour. Elle regarde par la vitre, fendue et sale, du premier étage. Sur sa chaise. Sans pouvoir bouger. A cause de ses jambes, couvertes de varices éclatées, suppurantes. Mais elle ne veut pas aller à l'hôpital. Elle veut rester ici, dans son quartier, où tout le monde la connaît. Elle, la Germaine; à sa fenêtre. Elle fume. La journée passe. Dans deux heures, le restaurant du coin lui apportera son repas. Pas trop mauvais. Copieux, surtout. Il en restera pour le chat. Sale bête toujours en maraude. Puis le soir va tomber. Il faudra allumer la bougie. //
    En été, Germaine peut s'accouder sur l'appui de fenêtre et observer la rue. Enveloppée dans son unique robe de chambre, trouée, puante, maculée de taches. D'une voix erraillée, elle appelle son chat. Les gens d'en face le ramènent, ils ont l'habitude, ils sont gentils. Ils ne l'ennuient pas avec son tausis. La seule pièce habitée de l'immeuble insalubre. Il n'y a peut-être plus d'eau, plus d'électricité et pas de chauffage, mais Germaine y est bien. Avec sa table, sa chaise et sa paillasse crasseuse. //
    C'est sur sa paillasse que Germaine reçoit. Le samedi seulement. Des travailleurs immigrés. Ils font semblant de rien, se promènent dans la rue. Puis ils s'arrêtent, lèvent la tête vers la fenêtre et échangent quelques signes avec Germaine. Au sujet de l'argent, sans doute. Ensuite ils montent. //
    Ce 'est pas le défilé. Mais c'est suffisant pour payer les cigarettes. Des blondes. Celles que Germaine préfère. Et tous les jours un homme âgé, petit, un peu voûté, va les chercher. Il sort de chez elle en complet-veston. Complet élimé, chemise pas bien nette, mais, de loin, il fait illusion. Il ne vit pas vraiment chez Germaine. Personne ne sait qui il est. Pour le quartier, c'est son "gigolo". //
    Un matin, la rue est en effervescence. On vient chercher Germaine ! L'ambulance est devant la porte. Les infirmiers vont l'emmener. Elle a cédé. //
    Depuis des mois, les services sanitaires et l'assistante sociale la harcèlent. Elle doit partir. Les promoteurs perdent patience. Germaine, lassée, accepte. A deux conditions : une robe de chambre neuve et une serrure sur la porte. Pour qu'on ne vole rien pendant son absence. La serrure est posée. Maintenant, les infirmiers aident Germaine à enfiler sa nouvelle robe de chambre. Par-dessus la vieille, la sale, la puante, qu'elle refuse de quitter. Ils la transportent à bout de bras jusqu'à l'ambulance. //
    Souvent, le samedi, des travailleurs immigrés passent et lèvent la tête vers la fenêtre. Puis ils s'en vont.


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