• mon meurtre

    Je me suis réveillé en sursaut. J'avais été fauché par le sommeil, là, dans cet abribus, une ou deux heures plus tôt. Lde jcommençait à peine à se lever. J'étais frigorifié. Une femme et son enfant étaient tournés vers moi. L'enfant me fixait, l'air dégoûté, sa mère tripotait son portable. Peut-être venait-elle de me prendre en photo.
    J'ai filé. La douleur me mordait les cuisses, les épaules, j'avais du sang séché sur les mains. Sans doute aussi sur le visage. Ce sang, que l'on aurait pu prendre pour de la crasse, n'était pas le mien.
    Des images désordonnées m'encombraient l'esprit. Comme si une boîte à chaussures pleine de photos s'était ouverte, répandant son contenu sur le sol. Des bribes de la soirée. Des flashs d'une violence inouïe. J'avais tué un homme. Je l'avais massacré.
    Tout avait commencé bêtement. Une provocation de sa part, une réaction disproportionnée de la mienne, il ne m'avait pas lâché, et on avait quitté le bar pour régler nos comptes dehors.
    Quand j'avais commencé à le fapper, c'est comme si un barrage avait cédé en moi, déversant un flot hallucinant de haine bouillante. Je désirais plus que tout le tuer, le pulvériser. J'avais sombrer dans la sauvagerie.
    Je lui avais éclater la tête à coup de parpaing. Je lui avais broyé le crâne, comme si j'avais tenté d'ouvrir une noix de coco. Il n'y avait personne pour m'arrêter, nous étions seul, au fond d'une petite impasse qui puait la pisse, derrière le bar. Je l'avais laissé là, la tête en bouillie, et je m'étais enfui.
    Je tremblais, j'avais froid, j'étais loin de chez moi, j'étais ivre et ma raison avait volé en éclats.
    J'ai marché deux heures avant de rejoindre mon appartemant. J'ai pris une douche, brûlante, j'ai foutu mes fringues dans un sac en plastique, je suis descendu immédiatement pour les fourrer au fond de la poubelle. Je n'arrivais pas à me calmer.
    Je suis resté un temps infini comme ça, chez moi, enfermé, tendu. Je revoyais en boucle le visage broyé de l'homme, son oeil sorti de son orbite qui pendait sur sa tempe, son sourire aux dents fracassées, ses lèvres comme du steak haché d'où s'écoulaient des flots d'hémoglobine. Et moi qui l'insultais d'une voix rauque, en riant. Comment avais-je pu basculer dans une telle démencde ?
    Le soir, j'ai craqué. J'ai appelé les flics. Je me suis dénoncé.
    - J'ai tué un homme. Cette nuit. Dans la petite impasse derrière le bar "Chez Pierrot", à Montargue.
    On m'a demandé de venir au poste de police, afin de prendre ma déposition. Je m'y suis rendu dans la foulée, sans hésiter. J'ai marché d'un pas résigné, presque impatient. J'avais hâte d'avouer. De me livrer aux flics. De me débarrasser du poids qui m'aplatissait le cerveau depuis mon acte abominable. J'avais le sentiment que cela allait rééquilibrer les choses.
    On ne m'a pas passé les menottes. Non. On m'a simplement invité à monter dans une voiture, accompagné de trois agents. On est allés sur place.
    Le bar était ouvert.
    La petite impasse, sur le côté, m'a parue plus large que dans mon souvenir. On n'en voyait pas le fond, il disparaissait derrière un angle.
    On s'y est engagés. Deux flics d'abord, puis moi, et un troisième flic ensuite, pour fermer la marche.
    Le fond de l'impasse était vide. A part quelques détritus entassés dans un coin, un vieux matelas moisi affaissé contre un mur, il n'y avait rien. Ni le corps de l'homme à qui j'avais ôté la vie, ni le parpaing que j'avais utilisé pour cela. Pas une tache de sang sur le sol.
    L'endroit avait été nettoyé d'une manière particulièrement efficace : on avait vraiment le sentiment qu'il ne s'était absolument rien passé ici depuis longtemps.
    Nous sommes entrés dans le bar. A l'apparition des uniformes, les trois clients se sont tus. Le patron est venu à notre rencontre. Il m'a lancé un regard aigre.
    Un des policiers l'a interrogé. Oui, il se souvenait d'une altercation la veille au soir et de deux hommes sortis s'expliquer dehors. Oui, il lui semblait bien que l'un des deux hommes, c'était moi. Mais il n'avait rien entendu d'autre, rien vu, il n'avait observé aucun mouvement suspect autour du bar.
    - Sans corps ni aucune trace de elui-ci, on ne peut rien faire, m'a dit un flic.
    Les policiers m'ont ramené chez moi.
    Avant de me laisser descendre de leur voiture, ils m'ont bien fait comprendre qu'il valait mieux éviter de les déranger pour rien.
    Il n'y ava it donc aucune preuve de mon acte atroce. Aucun témoin du meurtre que j'avais commis. Rien d'autre que mes souvenirs. Mêmes mes vêtements n'étaient plus là : entretemps, les éboueurs avaient vidé les poubelles de l'immeuble.
    Toute la journée et une bonne partie de la nuit, j'ai tourné etr retourné le problème dans ma tête.
    Qui avait effacé les taces du meurtre ?
    Qui s'était donné la peine de récupérer le corps et de nettoyer la scène du crime ? Pourquoi ? L'homme que j'avais tué était-il  quelqu'un d'important ? Etdans ce cas, qu'allait-on exiger de moi, dans l'avenir ?
    Je ne comprenais rien à ce qui m'arrivait. Rongé par l'angoisse, j'ai à nouveau été visiter l'impasse. A quatre pattes sur le sol crasseux, j'ai scruté le moindre millimètre carré. Je n'ai rien trouvé.
    Et j'ai commencé à douter de moi.
    Est-ce que j'avais reellement tué cet homme ? Ou bien étais-je victime d'une sorte de délire hallucinatoire ? Pourtant, j'avais bien en mémoire la scène dans ses moindres détails. Je ressentais encore sur ma peau, dans ma chair, au coeur de mes muscles, les sensations vécues durant le meurtre. J'entendais encore, en échos, mes insultes et les cris de la  victime, le bruit écoeurant du parpaing rebondissant sur son visage, les craquements des os de son crâne. Comment aurais-je pu inventer tout cela ? Pourquoi il n'en restait rien ?
    Si j'avais bel et bien éliminé ce type, sa disparition devait forcément avoir eu des répercutions dans son entourage. Personnez ne s'évapore sans laisser un vide. Il me fallait donc enquêter sur lui. Je suis entré encore une fois dans le bar, j'ai parlé au patron, qui était maintenant extrêmement hostile. Non, il ne connaissait pas l'homme avec lequel je m'étais engueulé.
    J'ai insisté. Je lui ai demandé de réfléchir : qui dans ses clients pouvait avoir un lien avec lui ? Il n'en savait rien. J'ai posé et reposé les mêmes questions. Il a fini par me sommer de sortir, fermement.
    Une semaine s'est écoulée. Je ne pensais qu'à cela, j'étais incapable de rien faire d'autre. J'attendais, de plus en plus fébrile, que l'on vienne me rendre visite, pour me faire payer mon geste. Je sombrais dans une véritable paranoïa. J'en étais arrivé à me dire que l'on me mettait à l'épreuve. Tout cela n'était prut-être qu'une macabre mise en scène qui avait pour seul but de me rendre fou.
    J'ai fini par en parler autour de moi. Mais j'étais dans un tel état de confusion que mon discours était décousu, incohérent, mon aveu se mêlait à mes suppositions, mes paroles semblaient dépourvues de sens. Mes amis m'ont fait part de leur inquiétude. Non pas à cause de ce que je leur répétais, mais en raison de mon état mental, trouble et désordonné. Ils m'ont tous vivement conseillé d'aller voir un psy.
    Je ne dormais plus. Je ne désirais qu'une seule chose, que cette histoire trouve une fin. Que l'on vienne à moi, pour se venger. Que les flics m'arrêtent, parce que le corps de ma victime aurait refait surface. Je n'en pouvais plus.
    Finalement, j'ai décidé de prendre les choses en main, comme on brise une malédiction. J'avais commis un meurtre, je le savais, intimement. Et puisque rien ne le prouvait, il me fallait remettre les choses à leur place.
    Je suis retourné au café "Chez Perrot". J'ai dû convaincre le patron que j'étais là uniquement pour passer la soirée, à boire quelque bières, rien de plus. Il m'a fichu la paix. Au bout d'un moment, je me suis approché d'un type. Il avait une sale tête, des yeux vifs, un air revêche. Je l'ai traité de connard, le menton haut.
    Il a réagi, on est sorti dehors, pour s'expliquer. Je l'ai entraîné au fond de l'impasse. Dès les premiers coups, j'ai senti monter en moi un raz-de-marée de violence. Submergé, j'ai c ogné, cogné de toutes mes forces, en riant.
    Celui-là, il ne m'échapperait pas. C'était mon meurtre à moi, et personne ne me le prendrait.


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