• nul ne peut fuir son destin

    Takakura, l'aide de camp du défunt seigneur Suzuki dînait, seul dans sa chambre, quand il entendit des cris lointains, puis un bruit de pas précipités. Il repoussa la petite table avec un juron et ouvit la porte au moment où le capitaine des gardes arrivait.
    - Un samurai s'est échappé, cria-t-il, le souffle coupé.
    - Comment hurla Takakura hors de lui.
    - Ils nous ont attaqués à plusieurs, se défendit le capitaine. Trois de mes hommes sont morts et Tasaka s'est enfui.
    - Vous avez trois jours pour le retrouver, rugit Takakura. La cérémonie est dans trois jours!
    - Allez apprendre à Ishida ce qui s'est passé. Dites que je lui demande personnellement de tenter de ramener Tasaka.
    Le capitaine des gardes le salua et partit, furieux. Tout lui déplaisait dans cette maison où tout le monde allait mourir dans trois jours. Le seigneur Suzuki était mort en disgrâce, et toute sa maisonnée le suivait dans le suicide rituel. Ses hommes et lui étaient là pour empêcher précisément ce qui venait de se passer. Cela l'humiliait profondément de devoir en plus aller admettre son échec devant Ishida.
    Les pas du capitaine ralentirent en arrivant dans les couloirs les plus retirés du château. Il levait la main pour frapper à une porte quand une voix glacée sonna derrière elle:
    - Qui-est-ce et que voulez-vous?
    - Je ... suis le capitaine des gardes. Le jeune Tasaka s'est enfui pour échapper au suicide. Maître Takakura apprécierait beaucoup votre aide ... La porte s'ouvrit et le garde s'inclina.
    - Dites à Takakura que je pars tout de suite, dit la voix froide. Le garde recula pour laisser le passage et Ishida s'éloigna d'un pas rapide.
    Il avait à peine trente cinq ans mais son visage blème semblait n'avoir jamais vu le soleil. Grand, squelettique, ses yeux glacés comme sa voix. Il se retourna, et d'un geste impatient, fit signe au capitaine de le suivre. Celui-ci se précipita:
    - Où allons-nous?
    - vers Edo.
    - Il faut le rattrapper, dit Ishida.
    Tasaka, le jeune rebelle, avait bien pris le chemin de Edo, qui est aujourd'hui appelé Tokyo. Il n'avait que 22 ans, et il avait succédé à son père auprès du seigneur Suzuki depuis un an à peine.
    Il s'était cru voué à un avenir brillant au sein d'un des clans les plus puissants du pays. Au lieu de quoi le seigneur Suzuki, mêlé à un complot, se suicide, et il était tenu dans trois jours de le suivre.
    Tasaka poussait son cheval aussi vite qu'il l'osait dans le noir, et se répétait furieusement que ce n'était pas servir le bushido que de mourir si jeune et sans avoir rien fait ...
    Tasaka était devenu très pâle. Il n'avait plus d'espoir, mais il préférait mourir que d'être traîné devant Takakura. Il attaqua de toutes ses forces, vit Ishida esquiver d'un demi-pivot nonchalant et sentit contre ses côtes une petite morsure froide. Ishida jouait avec lui comme le chat et la souris. Tasaka déployait toute sa connaissance, toute sa fougue, et l'autre lui échappait sans effort, infligeant chaque fois une légère coupure.Combien encore avant le coup mortel? Humilié, Tasaka recula. Croyant qu'il voulait fuir, Ishida fit un pas en avant, mais s'arrêta en voyant Tasaka jeter son sabre à terre.
    Trois cavaliers débouchèrent d'une piste étroite et lui barrèrent la route. Il reconnut immédiatement l'écusson du clan Sato et le capitaine des gardes.
    - Remettez-moi votre sabre et revenez avec nous, disait le capitaine au même instant. Tasaka s'arrêta, sauta à terre et dégaina. Les gardes se ruèrent sur lui, et le premier mourut tout de suite, ignominieusement en s'affalant sur le croche-pied du jeune samurai. Tasaka se battait presque mollement, mais sa technique était si supérieure qu'il abattit rapidement le deuxième garde.
    Il se jeta alors sur le capitaine avec une férocité qui prit celui-ci entièrement par surprise. Il sauta et frappa de haut en bas de toute sa puissance. Le capitaine parvint à bloquer le coup, mais le jeune enragé avait à peine touché terre qu'il frappait à nouveau, de la même manière. Encore une fois, le capitaine para à temps. Tasaka leva encore une fois son sabre, mais cette fois il changea de direction et sa lame se ficha dans le flanc découvert de son dernier adversaire.
    Il se détourna, essuya son sabre et courut vers son cheval. Il devait rejoindre sa famille à Edo à temps pour s'expliquer, pour qu'on trouve moyen de le cacher. Une voix basse et morte derrière lui, dit:
    - Attendez.
    Il se retourna, Ishida s'avançait derrière lui. Les mains de Tasaka devinrent froides et glissantes. Il savait qu'il ne pourrait vaincre cet homme que par le plus grand des hasards. Ishida avançait, ses mains restaient cachées dans ses amples manches. Sa voix sans timbre disait:
    - Revenez Tasaka, je ne veux pas vous menacer.
    Tasaka fit un pas en arrière, et ses yeux s'aggrandirent en voyant le sabre de Ishida jaillir comme de lui-même et dans un seul éclair détacher trois feuilles de trois buissons différents.L'instant d'après, la lame était dans son fourreau et les mains de Ishida à nouveau dans ses manches. Il n'avait pas cessé d'avancer, du même pas tranquille.
    Tasaka recula d'un pas encore, s'agenouilla sur les cailloux du chemin. Il respira la nuit, ouvrit lentement son kimono en regardant la découpe délicate des arbres contre les étoiles. Puis, sans hésitation, il dégaina son wakizashi, le sabre court des samurai, et le plongea dans son ventre.Il avait enfoncé la lame à gauche. Il tira doucement vers la droite, puis vers le haut. C'était le rituel qu'on exigeait de lui et il dit, sans souffle:
    - Dites à Takakura que la tradition ... l'honneur des Suzuki est sauf.
    Ishida inclina la tête, et pour la première fois un éclair d'admiration alluma son oeil mort. Puis, d'un seul mouvement, il passa derrière Tasaka et le décapita pour mettre fin à son supplice.


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