• Umedzu était champion d’escrime dans sa province. Apprenant que le Maître célèbre Toda Seigen était de passage dans la ville où il enseignait, Umedzu fut impatient de se mesurer à lui.
    Quand on demanda à Seigen s'il relevait le défi que lui lançait le champion provincial, il répondit:
    -Il n'en est pas question. Je ne vois aucune raison de me battre avec cet homme, n'ayant rien à prouver. Répondez-lui qu'un combat aux sabres se déroule entre la vie et la mort et que je ne puis accepter à la légère d'en assumer les risques.
    Prenant cette réponse pour une excuse de la part de Seigen, qui craignait apparemment d'être vaincu et de perdre sa réputation, Umedzu fit connaître publiquement le refus du Maître et n'hésita pas à le traiter de lâche. Le seigneur de la province eut vent de l'affaire et s'y intéressa vivement car il était lui-même passionné d'escrime. Il fit porter un message à Seigen dans lequel il le priait courtoisement d'accepter la rencontre. Celui-ci refusa de répondre. La requête fut renouvelée trois fois et le ton devenait de plus en plus insistant.
    Seigen ne pouvait refuser plus longtemps car sinon il enfreindrait les règles et obligations du samouraï, qui doit obéissance aux autorités féodales. Il se résolut donc à combattre Umedzu. L'arbitre, le lieu et la date de la rencontre furent alors rapidement choisis.
    Décidé à mettre toutes les chances de son côté, Umedzu se rendit en toute hâte dans un sanctuaire Shinto. Il y passa trois jours et trois nuits de suite à pratiquer un rite religieux de purification, cela afin de se préparer au combat et de se concilier les dieux.
    Quelqu'un raconta à Seigen tous les détails de la préparation de son adversaire et il lui suggéra d'en faire autant. Mais le Maître sourit tranquillement et déclara:
    -Je tente à chaque instant de cultiver dans mon cœur la sincérité et l'harmonie intérieure. Ce n'est pas quelque chose que les dieux pourront me donner en des moments critiques.
    Comme cela avait été fixé, les deux combattants étaient au rendez-vous. Le seigneur provincial s'était déplacé en personne avec une grande partie de sa suite pour assister à cette rencontre tant attendue. Accompagné par une foule d'élèves et d'admirateurs, Umedzu portait un boken, un sabre de bois de plus d' 1 mètre de long. Seigen, quant à lui, tenait un bâton qui faisait à peine 40 centimètres. Voyant cela, Umedzu s'adressa à l'arbitre pour exiger que son adversaire ait lui aussi un boken réglementaire. Il ne voulait pas que sa victoire soit attribuée à l'arme ridicule de Seigen!
    La réclamation fut transmise à ce dernier qui refusa en répondant qu'il se contenterait de son bout de bois. L'arbitre décida finalement que chacun garderait son arme respective.
    Umedzu s'élança furieusement dans la bataille par des attaques vigoureuses et répétées. Telle une bête féroce, il bondissait et rugissait. Son arme s'abattait avec une précision redoutable et fauchait avec une vitesse prodigieuse.
    Presque nonchalant, le Maître Seigen évitait chaque coup avec la souplesse et la grâce d'un chat. Son regard complètement indifférent ne quittait pas les yeux de l'adversaire, son corps parfaitement détendu paraissait jouer, danser avec le sabre qui le frôlait d'une façon inquiétante. Umedzu, hors de lui, manœuvrait son boken de toutes ses forces et rageait de frapper dans le vide.
    Ce fascinant ballet ne dura pourtant pas longtemps. Tout à coup, sans que l'on sache pourquoi, le champion s'immobilisa. Une dou¬leur intense se lisait sur son visage. Le petit bâton du Maître l'avait certainement touché mais personne n'aurait su dire où. Seigen en profita alors pour saisir le boken de son adversaire. L'ayant jeté au loin, il s'apprêtait à quitter raire du combat en y laissant Umedzu seul avec sa cuisante défaite. Mais celui-ci, dans un accès de rage, dégaina le poignard qu'il avait gardé à la ceinture et se rua sur le Maître.
    Dans un mouvement à peine perceptible, le petit bâton de Seigen siffla dans l'air. Il frappa de nouveau mais, cette fois, Umedzu s'écroula de tout son poids.


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