• le chat de platine
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    Lâchant le paquet de toile où le détective était enfermé, les bandits quittèrent la voie et s'élancèrent par le talus vers un groupe de trois platanes qui dominaient la route nationale et la tranchée du chemin de fer. Tel était sans doute le point de rendez-vous qui leur avait été assigné par M. Douze. Ils l'atteignirent, comme les gendarmes débouchaient du passage à niveau fermé.
    A ce moment, une grosse voiture lancée à toute vitesse apparut au sommet de la côte. A l'avant du radiateur, on distinguait une masse d'acier formant éperon.
    Une descente foudroyante... Un coup de frein... Les fugitifs embarquèrent vivement, recueillis par des hommes en combinaison de mécanicien et lunettes bleues. La voiture alourdie fonça sur les poursuivants.
    Surpris, ils s'écartèrent. Derrière eux se dressaient les barrières, faites chacune d'une poutre reposant sur deux fourches de fer. Il y eut un choc, un craquement; un autre choc et un autre craquement... Les deux barrières étaient rompues; l'énorme auto bondissait au-delà des voies et disparaissait au premier virage. Les gendarmes n'avaient pas eu le temps de tirer.
    Deux d'entre eux avaient des bicyclettes, qu'ils enfourchèrent, comme s'ils avaient eu la moindre chance de rattraper le bolide à l'éperon !... Quant au brigadier, aidé du garde-barrière, il se hâta de repousser vers l'extérieur les morceaux de poutres qui empiétaient sur les rails.
    Ils avaient à peine achevé ce travail quand arriva l'auto de louage frétée par Jean-Jacques. Ce véhicule était annoncé de loin par les ronflements de Marinon et par les coincoins du canard.
    - Vite Citrouille, occupons-nous de Vise-à-gauche ! cria Ygrec.
    Pendant que sa soeur explorait les lieux, il courait au brigadier, dont la présence le gênait.
    - C'est vous qui nous avez téléphoné tout à l'heure ? Initiative tout à fait judicieuse ! s'exclama le gardien de l'ordre.
    - C'était de la part du grand détective Colerette, assura Jean-Jacques. Naturellement, vous n'avez pas arrêté les bandits ?
    Le brigadier, assez penaud, raconta ce qui venait de se passer.
    - J'en étais sûr, dit entre ses dents le jeune garçon, depuis que j'ai vu surgir la grosse voiture... Ne croyez-vous pas, brigadier, continua-t-il plus distinctement, que les fuyards ont pu se cacher dans le voisinage ? Vous devriez fouiller la colline.
    - J'y songeais, mon ami, dit majestueusement le gendarme. Et il s'éloigna.
    Pendant ce temps, Marinon, parfaitement réveillée, avait trouvé près des wagons le bizarre étui de toile abandonné par les bandits, et qui contenait M. Colerette. Sans dire un mot, la jeune fille fit signe à son frère, avec lequel elle échangea d'abord quelques sifflements. Puis, tous deux, d'un air dégagé, s'assirent sur le talus, à proximité du paquet, et se mirent à causer à voix très haute.
    - Que dira notre oncle, soupira Citrouille, quand il saura que, le matin du départ de Paris, nous avons retiré le contenu de la valise en peau de crocodile ?
    - Que dira-t-il, soupira Ygrec, quand il saura que, de ce contenu, nous avons fait un colis, et que ce colis, adressé au ras, nous l'avons expédié par la poste à Marseille, chez le capitaine du port ?
    - Comme nous avons eu tort de nous livrer à cette espiéglerie !
    - Ah, dit Jean-Jacques, voici le brigadier qui revient. Allons le questionner.
    Au lieu de quoi, nos amis retournèrent auprès de Sidonie. Celle-ci avait maille à partir avec Colonel. Le canard avait remarqué l'une des pompes qui aliment en eau les locomotives, et, louchant vers ce mécanisme, réclamait sa douche.
    Un coup de sifflet impérieux annonça l'arrivée du rapide, muni d'une locomotive nouvelle. Le convoi s'arrêta derrière les deux wagons isolés. La première personne qui mit pied à terre fut le ras. Un ras méconnaissable : pâle de rage, la barbe en bataille, les cheveux étincelants. Derrière lui, Tiffon-Palamos et M. Laitance n'en menaient pas large.
    - Vous m'avez tous trompé ! criait Lipari-Mahonen. Ce détective qui devait protéger mes trésors est un âne !... Il a disparu, après s'être laissé sottement voler la Merveille de Gondar, que le ciel bénisse !... Mais ça ne se passera pas comme ça. Je me plaidrai au gouvernement français, au Conseil de l'Europe, à l'ONU. Au besoin, je déclarerai la guerre.
    - Hum ! Hum ! fit M. Colerette dans son étui.
    - Qu'est-ce que j'entends ? C'est la voix de l'âne !... Délivrez l'âne ! glapit le ras, en montrant le paquet étendu à ses pieds.
    On déchira la toile, on coupa les liens. Le détective apparut, un peu chiffonné, mais serein. Aux deux côtés de sa ceinture pendaient des bouts de chaîne cisaillée.
    Le seigneur abyssin vociféra :
    - Qu'as-tu fait de mes trésors, aliboron malade, graine de cactus fétide, torchon sec ?
    M. Colerette, très digne, tira sa montre :
    - Il est 13 heure juste, dit-il. Depuis deux heures exactement, les trésors de Votre Seigneurie attendent son arrivée, dans les mains du capitaine du port de Marseille.
    L'effet produit par ces paroles fut considérable.
    - Le capitaine du port de Marseille ?... Mais le Chat-de-platine et les bijoux étaient dans votre valise !
    - Leurre ! Feintise ! Subterfuge ! dit M. Colerette, en souriant. Ces objets précieux ont été tout bêtement envoyés par la poste. Ils s'acheminaient en toute sûreté vers l'antique Phocée, tandis que les bandits les recherchaient fiévreusement dans ce train.
    Le ras se tapa sur les cuisses :
    - Ah ça, conclut-il, hilare, ça, c'est génial !

    A SUIVRE


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