• le chat de platine
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    C'est avec soulagement que notre détective M. Colerette vit arriver le matin. Pendant trois heures encore, il avait dû veiller dans le "cabinet secret", en compagnie de deux hommes, dont l'un , oui, mais lequel ? était certainement un fourbe et un voleur, et en face de la vitrine vide d'où le Chat-de-platine s'était mystérieusement envolé.
    Les enfants avaient repris leur place sur le divan du petit salon, et Marinon ne s'était certes pas fait prier pour se replonger dans son sommeil interrompu... L'appartement était clos et gardé de l'extérieur, il était désormais inutile de fermer les portes entre les différentes pièces.
    Enfin, le jour se leva. Aussitôt éveillé, le ras appela son secrétaire, qui vint l'aider à faire sa toilette.
    - Dans une demi-heure, je monte à l'appartement du dessus, dit Lipari-Mahonen. Ce sera bientôt l'heure des premiers départs d'express.
    Pendant qu'il s'apprêtait dans sa chambre, M. Colerette entreprit de fouiller celles des dignitaires, en commençant par celle de Tiffon-Palamos, qui manifesta immédiatement une vive inquiétude.
    - Haha, pensa le Cerveau-numéro-Un, mon flair ne m'a pas trompé !
    Chez le Grand Chambellan il ne trouva pourtant rien de particulier, jusqu'à ce qu'il ouvrit un placard, dissimulé derrière un rideau de damas. A ce moment, Momosse, qui suivait les opérations d'un oeil égaré, se précipita, les mains jointes :
    - De grâce, n'ouvrez pas ce placard ! Il contient la honte de ma vie.
    - Ma mission avant tout ! proféra M. Colerette.
    Il l'ouvrit d'un geste large. A sa grande stupeur, il vit un bizarre amas d'objets, au milieu desquels se distinguaient des plaques, des écritaux : "Passage interdit", "Lampisterie", "Défense de fumer", "Maximum : quarante kilomètres à l'heure"... A côté, il y avait des poteaux de signalisation, des lanternes de cantonnier...
    - Qu'est-ce que cela signifie ? Qui a chipé cet attirail ?
    - C'est moi, hélas ! avoua le Chambellan effondré. Quand je vois l'une de ces belles plaques, l'un de ces beaux poteaux, sur une route déserte, je ne peux m'empêcher de me les approprier.
    - Et pourquoi donc ?
    - Pour les contempler à mon aise. Chacun sa petite manie !
    M. Colerette haussa les épaules.
    - Cela ne me regarde pas, dit-il. Passons à la chambre voisine. Le Chat de Platine n'est pas ici.
    Dans la chambre voisine, une silhouette était penchée sur un tiroir.
    - C'est moi, mon oncle, dit Jean-Jacques, en souriant au pistolet automatique que le dit oncle braquait déjà sur lui. Je cherchais un bout de ficelle.
    - Sacré enfant, serez-vous toujours dans mes pieds ! Au moins, l'as-tu trouvé, ton bout de ficelle ?
    - Non, mais j'ai trouvé à l'instant ce bout de papier. Si par hasard il intéressait votre enquête...
    A ce moment on entendit un grand tapage du côté du petit salon. L'oncle et le neveu y coururent. c'était Marinon, les yeux bouffis, qui venait d'appliquer au secrétaire du ras un ippon seoi nage de belle facture.
    - Il voulait entrer dans cette pièce. Je déteste que les gens marchent à côté de moi pendant que je dors.
    Derrière la jeune personne, Sidonie, éveillée en sursaut, écarquillait des prunelles stupides. Quant au secrétaire, il était retourné dans la chambre du ras sans demander son reste.
    - Avez-vous lu le bout de papier, mon oncle ? demanda Ygrec vivement.
    - Le bout de papier ? Où est-il donc ? Je l'ai laissé dans la chambre que je m'apprêtais à fouiller. Nous allons voir cela.
    Le neveu fila comme une flèche. Et bientôt des cris s'élevèrent :
    - Colonel ! Veux-tu laisser cela ? Tu vas avoir à faire à moi !
    Trop tard ! Quand M. Colerette revint dans la chambre, il vit Jean-Jacques qui essayait de faire rendre gorge au canard d'appartement que les enfants avaient emmené avec eux. Celui-ci, qui répondait au nom de "Colonel", avec de grands efforts, déglutit.
    - Quelle malchance ! soupira le garçon. Ce billet vous échappe, mon oncle ! Et il vous aurait peut-être livré le mot de l'énigme. Je n'en ai pu voir que la signature.
    - Et quelle était-elle ?
    -"Monsieur Douze".
    Très dignement, Colonel avait traversé la chambre et avait gagné l'angle de la fenêtre, où il s'immobilisa. Ayant mérité d'être puni, pour ce trait de gloutonnerie malencontreuse, il allait de lui-même se mettre dans le coin...
    - Il sait s'y prendre, cet animal ! Il la connaît dans les coincoins ! dit M. Colerette. Hahahaha !
    Mais Barbotin n'était pas là cette fois pour faire servilement écho aux éclats de rire que les calembours de M. Colerette lui arrachaient.
    Dans le tiroir où Jean-Jacques avait trouvé le billet, se découvrit un domino (le double-six) et une boule de mastic tout semblable à celui qui avait servi à mouler la serrure de la vitrine. Sans contredit, c'était là un indice à charge du secrétaire.
    - Je me demande, fit Ygrec, pourquoi M. Jocast voulait absolument entrer dans le petit salon ? En tout cas, ce n'est pas dans l'intention d'y reprendre le Chat-de-platine, qu'il y aurait caché cette nuit, pendant que nous courions ça et là, après l'attentat contre le ras.
    - Et pourquoi ne serait-ce pas dans cette intention ? fit M. Colerette sarcastique.
    - Parce que certainement vous aviez déjà fouillé cette pièce-là aussi.
    - Non, mon ami, trancha le détective. Je ne l'ai pas encore fouillée. Mais j'y vais de ce pas. Car mon cerveau a tiré déjà diverses conclusions de ces réflexions puériles que tu émets au hasard.
    La fouille, dans le petit salon ne fut pas longue. Le Chat-de-platine, enveloppé d'un mouchoir rouge, apparut dans le cabas de la vieille bonne, où le voleur l'avait provisoirement dissimulé; mais l'intervention de Marinon l'avait empêché de le reprendre.
    - Et voilà ! fit M. Colerette avec satisfaction. Il suffit d'un peu de sagacité. Je vais moi-même porter l'objet à Sa Seigneurie.
    Sa Seigneurie en chemise, un mouchoir lié sur la bouche, était attachée au pied de son lit ! Derechef, le sieur Jocast l'avait attaqué, mais cette fois à visage découvert. Et le sieur Jocast, où était-il ?
    On fureta dans tous les coins. Point de secrétaire ! Interrogé, le gérant affirma qu'aucune des deux portes n'avait été ouverte.
    - Sauf au ras, bien entendu !
    - Au ras ? Vous avez ouvert au ras ?
    - Bien sûr. C'était entendu avec vous, M. Colerette. Notre hôte éminent se rendait à l'appartement d'au-dessus, comme tous les matins.
    - Miséricorde ! Le ras est encore ici ! Vous avez livré passage à quelqu'un d'autre.
    - Ma foi, dit un des garçons d'étage, j'ai vu un grand monsieur, à peau foncée, avec une barbe, enveloppé dans un ample manteau du ras.
    - C'était le secrétaire, gémit le détective. Il a dû se noicir la figure au cirage, et se coller un postiche ! Le voleur nous échappe.
    - Mais du moins, ajouta-t-il, nous avons sauvé le trésor !
    - Messieurs, dit le ras, cela suffit. Etranglé cette nuit, ligotté ce matin, je suis dégoûté de ces parages. Faites les bagages; nous partons tous demain pour mon pays.

    A SUIVRE


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