• un an de grandes vacances


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    A peine nous étions-nous hissés sur le pont du vaisseau allemand, que deux détonations retentirent à quelques secondes d'intervalle. C'étaient les charges qui explosaient contre le flanc de l'Espérance". Le malheureux cargo tressaillit de la proue à la poupe et s'inclina lentement sur tribord. Tandis qu'en hâte nous cherchions à récupérer nos bagages dans l'amoncellement des colis que les matelots déchargeaient, l'"Espérance" s'enfonçait de l'avant; lorsqu'il fut arrivé à la verticale nous vîmes au loin sa silhouette plonger et s'engloutir, son pavillon battant à l'arrière.
    Le canot monté par l'équipage français, à grands coups d'avirons, s'écartait de remous. Il se trouvait encore à quelques noeuds de notre bord, lorsque des cris retentirent en allemand :
    - Donnerwetter ! Englischer Kreuzer !
    Dans ses jumelles, la vigie venait d'apercevoir les feux de position d'un navire à l'horizon. La vedette à moteur qui nous avait amenés fut remontée en toute hâte et les machines se mirent à ronfler. Tandis que les hélices se remettaient à battre lourdement la mer, le corsaire allemand glissait sur les flots et prenait peu à peu de la vitesse, abandonnant à son sort l'équipage de l'"Espérance".
    Un quartier-maître nous avait dirigés vers notre logement. c'était, dans l'entrepont, une sorte de cabine, divisée en deux par un panneau de bois, où étaient accrochés huit hamacs de toile. Elle mesurait environ quatre mètres sur quatre. Il y faisait étouffant et les relents d'huile de moteur s'y mêlaient agréablement à un parfum de harengs marinés.
    - C'est ici que nous allons vivre ! gémissait le petit Bertrand. Jamais je ne pourrai supporter cette captivité.
    - Mange ça, suggéra Merlon pour le consoler, en lui tendant une tablette de chocolat que la chaleur faisait fondre entre ses doigts.
    - Cesse donc de pleurnicher, mon vieux ! trancha Firmin, toujours optimiste. A la guerre comme à la guerre ! Jusqu'ici tout s'est bien passé et personnellement je trouve même que l'aventure ne manque pas de piquant.
    La porte venait de s'ouvrir, livrant passage à un officier de haute taille, galonné d'or, suivi du lieutenant de prises qui nous avait visités sur l'"Espérance".
    - Commandant baron Victor-Frédérik von Falkenberg, dit-il, en s'immobilisant, la main à la visière, à côté de son chef.
    Le commandant von Falkenberg avait une tête d'aigle sur un corps d'échassier, mais son visage tanné par les embruns gardait sous son rude aspect de loup de mer, une expression de noblesse.
    - Messieurs, prononça-t-il, après un bref salut de la tête, je vous souhaite la bienvenue sur le "Kronprinz", croiseur auxiliaire de Sa Majesté Impériale. J'aime beaucoup Paris, où j'ai fait de nombreux séjours et suis heureux que mes premiers prisonniers soient des Français. Oubliez, je vous prie, ce que les circonstances peuvent donner de pénible à cette rencontre. J'espère que vous comprendrez les nécessités du service et les mesures qu'elles m'imposent à votre égard. C'est le lieutenant Muller qui s'occupera de vous. Je vous demande de lui faciliter la tâche.


    A SUIVRE


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