• un an de grandes vacances

    un an de grandes vacances


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    Je n'oublierai jamais les grandes vacances de l'année 1914. Quand un garçon a vécu l'aventure qui nous advint, à mes compagnons de réthorique et à moi-même, il lui arrive, des lustres après, de se tâter pour voir s'il n'a pas rêvé...
    Le mois de juillet de cette année mémorable avait été particulièrement beau. J'avais dix-sept ans et je terminais mes humanités anciennes comme pensionnaire à l'institution. Notre réthorique se composait de six élèves, fraternellement unis sous la férule paternelle du docte Onésime Dalbret, un vieux savant, mathématicien, géographe et archéologue distingué.
    Quelques jours avant la fin du trimestre, M. dalbret nous confia le grand projet qu'il ruminait depuis des mois : faire en groupe une croisière de six semaines dans le Proche-Orient. Il avait calculé que pour mille francs par personne, nous pourrions contempler à loisir les vestiges des antiques civilisations avec lesquelles six années d'études  gréco-latines nous avaient familiarisés.
    On imagine notre enthousiasme lorsque après en avoir écrit à nos parents, nous reçumes tous les six l'autorisation de partir, accompagnée du chèque attendu.
    Le 31 juillet, nous nous embarquions à Marseille à destination du Caire, sur le cargo mixte "Espérance". Ce genre de bateau, le nôtre ne comptait que comptait que cinq cabines pour passagers, peut faire des conditions plus avantageuses que les paquebots de luxe.
    Je partageais ma chambrette avec le grand  Firmin Labadou, l'aîné de la bande. Il avait dix-neuf ans. C'était le fils d'un gros fermier, chahuteur et déluré, bâti en hercule. Amédée Pergaud, timide et distingué, le premier de la classe, avait été logé avec Alcide Merlon, un bon garçon déjà un peu obèse que tourmentait une boulimie perpétuelle. Enfin Célestin Langlois, un futur ingénieur, qui jonglait avec les "X" et les racines cubiques, faisait chambre commune avec le petit Bertrand, prénomé François-René, comme Châteaubriand dont il avait copié la mèche romantique et le port de tête étudié. Quant au "père" Dalbret, que nous appelions famillièrement entre nous "le vieux" à cause de sa belle barbe déjà blanche, bien qu'il n'eut pas dépassé de beaucoup la cinquantaine, il avait naturellement une cabine pour lui seul.
    La traversée fut charmante et brève. Le "vieux" se promenait sur le pont, coiffé d'un casque colonial acheté sur la Canebière, et ne manquait pas, à chaque occasion, de nous donner sur les menus incidents de la vie à bord, des précisions qui révélaient une étourdissante érudition. il connaissait tout; la manoeuvre, les détails du gréement, l'origine des vents, les calculs du compas.
    Pourtant, par moment, il semblait un peu inquiet, comme si une grave préoccupation le tourmentait. Le soir, il lui arrivait de discuter avec le capitaine sur les notes diplomatiques que la Russie et l'Allemagne échangeaient quotidiennement. Bientôt nous apprîmes, par la radio du bord, que la France avait mobilisé. Le 4 août au soir, les hostilités étaient déclenchées entre les pays de la Triple Alliance et ceux de l'Entente.
    Trois jours plus tard, comme nous arrivions devant le port d'Alexandrie, où l'"Espérance" devait faire escale, une vedette égyptienne fit savoir à notre commandant qu'il était interdit de débarquer et qu'il avait à poursuivre sa route jusqu'à Djibouti.
    M. Dalbret exprima sa contrariété, mais, pour nous ce contretemps constituait un imprévu des plus divertissants. Finalement notre professeur conclut que, somme toute, nous en serions quittes pour descendre le Nil au lieu de le remonter, en étudiant l'antique civilisation des Pharaons.


    A SUIVRE


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