• un an de grandes vacances

    un an de grandes vacances
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    Mais lorsque M. Dalbret reparut, nous comprîmes que c'était de bien autre chose qu'il s'agissait. Le commandant von Falkenberg avait exposé à notre mentor que le "Kronprinz" allait bientôt toucher le lieu de sa mission principale. La vie à bord allait devenir particulièrement dangereuse. Il ne se dissimulait plus la puissance maritime que les Alliés avaient alignée contre l'Allemagne. Il fallait donc s'attendre à des engagements prochains, à des combats pleins de risques. Lui et son équipage les acceptaient, quant à eux, avec fierté. Mais il croyait préférable de ne pas exposer inutilement nos vies. Il avait donc décidé de nous débarquer dans une île salubre, où nous pourrions être recueillis, après quelques jours, par un bateau neutre, auquel il ne manquerait pas de signaler, à la première occasion notre existence en cet endroit.
    Les circontances se prêtaient précisément à ce sujet, puisque nous approchions maintenant de cette poussière de jolis petits îlots qui forment la Polynésie.
    Je dois avouer qu'à cette nouvelle notre enthousiasme fut indescriptible. L'idée de quitter ces tôles uniformément peintes en "gris bataille", de revoir du ciel et de la verdure, de pouvoir détendre nos jambes de dix-huit ans dans des courses folles, nous faisait littéralement exulter de joie. Et puis, depuis que Daniel Defoë écrivit "Robinson Crusoé", qui n'a gardé la secrète nostalgie de l'île inconnue?
    Le "vieux" confirma donc à l'"échassier" notre plein accord, mais il demanda que nous fut accordé le matériel indispensable à un séjour provisoire de sept personnes sur une île déserte.
    Le commandant allemand, décidément brave type, promit de faire rassembler à notre intention les ustensiles dont pourrait se passer son propre équipage.
    Fébrilement, chacun de nous avait empaqueté ses affaires dans des sacs de toile qu'avait mis à notre disposition le lieutenant Muller. Firmin n'osait plus utiliser son mouchoir de peur de devoir rouvrir ses bagages. nous étions à chaque instant prêts à débarquer. Nous dûmes pourtant attendre encore plusieurs jours. déjà nous avions presque perdu l'espoir de voir se réaliser notre rêve, lorsqu'un beau matin, vers dix heures, un marin vint nous avertir que nous pourrions toucher terre incessamment.
    Nous fûmes extraits de notre cachot et amené sur le pont.
    L'îlot était là, sous nos yeux, étalé au soleil dans sa robe verte frangée de roches rouge corail.
    - Chic ! Ce qu'elle est grande ! lança Merlon.
    - Tu l'imaginais peut-être comme l'île aux canards du bois de Vincennes ? rétorqua le petit Bertrand, troublé dans sa contemplation poétique.
    Le commandant tint aimablement à nous saluer :
    - Bonne chance, Messieurs ! Bonne chance, Herr Professor. Je regrette de n'avoir pas bavarder plus souvent en français avec vous. J'ai trop peu l'occasion de m'exercer dans votre belle langue. Voici le matériel que je vous cède bien volontiers. Vous direz, je l'espère, dans votre pays, que le baron von Falkenberg vous a traité en gentilhomme.
    Il nous salua avec grâce du képi, comprenant qu'entre ennemis il ne convenait pas de se serrer la main. J'étais, quant à moi, touché de dette délicatesse. Et lorsque la vedette à moteur, qui nous avait amenés comme prisonniers, nous transporta vers l'île, nous ne pûmes nous empêcher d'agiter la main vers sa longue silhouette de Don Quichotte.


    A SUIVRE


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