• un an de grandes vacances

    un an de grandes vacances
    16


    Nous marchions depuis un quart d'heure par un large sentier de terre battue, bordé de pandanus et de magnolias en fleurs, lorsque nous débouchâmes sur la place du village. Une soixantaine de huttes hautes et bien construites étaient groupées autour d'une case plus vaste, pourvue des deux côtés de prolongements rectangulaires. C'était à n'en pas douter, la case du chef.
    Un grand vieillard, alerté par les cris de notre cortège, sortit et vint à notre rencontre. Il tenait à la main une sorte de casse-tête en guise de sceptre. Il avait la tête empanachée de plumes de paradisier et arborait un superbe collier de barbe blanche. Nous comprîmes, dès lors, le respect qu'inspirait la barbe en fleuve de chef-blanc M. Dalbret. Celui-ci se prêta de bonne grâce aux impératifs du protocole. Les deux hommes se posèrent mutuellement les mains à plat sur les épaules et se donnèrent une accolade qui consistait en un frottement de nez. C'était là un gage d'intentions pacifiques, et les indigènes poussèrent en notre honneur le cri qui correspond à notre hourrah : "Kohaï-Haï !".
    Mais ce fut du délire, quand notre professeur attacha au cou du chef sa chaîne de montre en argent niellé, tandis que le vieux Maori lui passait à son tour, autour du cou, son collier de perles fines grosses comme des noisettes.
    - Cette fois, je crois que nous sommes sauvés, fit Labadou.
    - Je me mettrais bien quelque chose sous la dent, conclut Merlon, qui sur la terre ferme était repris par sa boulimie endémique.
    Comme il avait joint le geste à la parole, le roi indigène fit un signe et chacun s'assit à terre, en rond, devant la case. Nous étions une quinzaine de convives. Seuls, le roi et ses dignitaires avaient pris place à nos côtés. La foule des indigènes regardait, debout, à distance respectueuse.
    On nous servit, dans de grandes feuilles de nénuphar aux bords relevés comme ceux d'une assiette, du porcelet grillé, baigné d'une sauce aromatisée de fines essences d'herbes. Puis des fruits variés : des bananes, des ananas, des staphisaigres, sortes de raisins sauvages, aigrelets et rafraîchissants qui rappellent le goût de notre dauphinelle du Midi. Le tout arrosé de vin de palme, qu'on buvait dans une demi-noix de coco évidée.
    Bien que la conversation dut se faire uniquement par gestes, le repas se terminait fort cordialement, lorsque tout à coup, bondit dans le cercle un grand diable d'indigène, vêtu d'une housse de raphia et le visage caché sous un masque de bois sculpté, aux traits peu engageants.
    - Voici le sorcier de la tribu, fit M. Dalbret.
    Le bonhomme gesticula durant plusieurs minutes un pas de danse sur place à une vitesse inimaginable. Sa cadence était si rapide que l'oeil ne pouvait plus suivre le mouvement de ses jambes. Cela fait, il se tourna vers nous et invita, de la main, le sorcier des Blancs à montrer son savoir faire.
    - Vas-y Firmin, lançai-je. Sauve l'honneur de la race aryenne.
    Firmin Labadou, qui de sa vie n'avait jamais remporté que le prix de gymnastique, mais qui ne permettait à personne de lui contester celui-là, ne se fit pas prier.
    Il se leva lentement et se mit le torse nu. Il était aussi grand que le sorcier et deux fois plus musclé. S'appuyant sur ses mains, il exécuta un poirier impeccable puis fit le tour de l'assemblée, les pieds en l'air.
    Déjà nous applaudissions à cette prouesse quand le sorcier se mit à bondir, en exécutant dans tous les sens des sauts périlleux d'une prodigieuse souplesse.
    Firmin vexé, prit son élan, s'élança pour l'imiter, mais après un demi-tour dans les airs, il aterrit sur l'épaule.
    Un inquiétant murmure de désaprobation monta de la foule des spectateurs.


    A SUIVRE


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :