• un an de grandes vacances

    un an de grandes vacances
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    Firmin s'était relevé assez penaud. Il était rouge et congestionné, et frottait son épaule éraflée.
    - J'y renonce, fit-il en maugréant. A un autre, s'il veut essayer !
    Et pour se donner une attitude, il alluma une cigarette. Il allait se rasseoir, mais le sorcier s'était arrêté comme pétrifié. Firmin avait compris. Il sortit de sa poche une seconde allumette phosphorique et la frotta sur le nez du masque. Une petite flamme jaillit.
    - Kohaï-haï ! cria le roi, admiratif.
    - Kohaï-haï ! reprit en choeur la foule des indigènes.
    Le sorcier s'était jeté à terre devant Labadou et lui embrassait les pieds. Firmin, bon garçon, releva le grand diable. Ce dernier avait oté son masque. C'était un homme, jeune encore, dont le visage aimable contrastait avec l'horrible masque qui le recouvrait.
    Firmin donna à son adversaire l'accolade rituelle et cet homérique duel de sorcellerie dont le grand vainqueur était la régie française des allumettes, se termina par des chants et des danses, tard dans la nuit.
    Nous étions, faut-il le dire, exténués. Depuis des semaines nous n'avions plus joui d'une nuit complète d'un sommeil paisible.
    Le roi nous fit comprendre qu'on nous bâtirait une case, mais que provisoirement nous étions invités à habiter une aile de son "palais". Des nattes nous y attendaient, mais nous préférâmes accrocher nos toiles de hamac aux piliers des angles. Tout notre matériel avait été remisé près de nous. Pergaud, qui avait quelque raison d'être méfiant, ne voulut s'endormir que sa carabine à côté de lui. pour ma part, je ne me souviens pas avoir, de ma vie, piqué un pareil somme.
    Le lendemain, quand je me réveillai, le soleil à son zénith indiquait qu'il était midi. Comme nous éprouvions tous le plus ardent désir de nous baigner, nous descendîmes jusqu'à la plage. L'eau était d'une tiédeur délicieuse et notre trempette enleva toute trace de nos fatigues. Ces indigènes étaient des nageurs étonnants. Des enfants, hauts comme trois pommes, nageaient à contre courant, en poussant devant eux une planche légère et relevée de l'avant. Puis, couchés ou même debout sur elle, ils se laissaient ramener par les vagues jusqu'au rivage. Nous apprîmes bien vite à pratiquer pour notre compte ce sport passionnant, totalement inconnu en Europe.
    M. Dalbret songeait à tout. Il avait visité l'île avec le roi et constaté que la plus vaste éminence du plateau se trouvait à l'est, à l'endroit où le roc plonge presque à pic dans l'océan. La forêt se prolongeait jusqu'au bord de la falaise, laissant à nu un petit promontoire de rocher sans végétation.
    Emportant avec nous nos scies, nos haches et nos outils, nous nous rendîmes à cet endroit. Nous avions choisi un arbre d'une hauteur peu commune et l'avions étété. Puis nous avions abattu un autre arbre de dimension presque égale et, avec l'aide hebile de quelques indigènes, nous les avions fixés bout à bout, par une solide reliure, afin d'obtenir un mât d'observation de près de quarante-cinq mètres de hauteur. En encochant dans les fûts, tout le long de la montée, des bouts de bois comme marche-pied, on grimpait facilement au sommet. Sans doute, on y était balancé comme un oiseau au bout d'une branche et il fallait se méfier du vertige. Mais de cette hune la vue portait à prêt de vingt-cinq kilomètres.
    A la pointe du rocher nu, nous avions préparé un immense bûcher, fait de troncs d'arbres posés en carré, le milieu garni de branchages et de feuilles sèches. Nous avions ainsi un fanal tout prêt à être allumé, pour signaler par sa fumée notre présence à un navire aperçu au loin.
    Ce premier travail nous prit plusieurs jours. Nos amis sauvages nous y apportèrent une aide précieuse. L'intelligence des Maoris était vive et leur serviabilité sans limite. Dès qu'ils avaient compris ce qu'on attendait d'eux, ils se donnaient à leur tâche sans trêve ni repos. La meilleure récompense était pour eux une cigarette. Ils étaient grands fumeurs, mais leurs cigares, faits de feuilles grossièrement roulées, étaient tellement forts et acres, que Merlon pensa mourir le jour où par politesse, il en avait accepté un d'une femme indigène à qui il avait donné une épingle de sûreté. Il fut d'ailleurs très surpris de constater qu'elle n'utilisa pas cette épingle pour attacher son pareo, mais qu'elle se la piqua dans le lobe gauche en guise de pendant d'oreille.


    A SUIVRE


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