• Pierre était un garçon qui s'ennuyait facilement tout seul. Quand il arriva à la mer avec ses parents cette année-là, la plage était encore déserte. Chaque matin, Pierre scrutait l'immense étendue de sable mais personne ne lui répondait. Il y avait bien une vieille dame, non loin de l'endroit où il avait l'habitude de s'asseoir, une vieille dame cachée par son parasol rouge et blanc...
    Mais une vieille dame, c'est pire que des parents, on dirait qu'elles ont été mises sur terre dans l'unique but de donner des conseils ennuyeux aux petits garçons trop enthousiastes. A qui, à qui parler alors ?...
    Dans l'appartement plein de recoins et d'ombre, à la ville, Pierre avait laissé ses confidents, ses vrais amis : trois billes de verre qui devinaient tous ses secrets désirs rien que par une pression de main sur leur surface brillante et ronde, mais surtout le Masque, un masque d'Indien que Pierre posait sur son visage avec précaution, chaque soir pendant quelques minutes, avant de grimper dans son lit. Et derrière ce masque, l'enfant tranquille, l'écolier sage, devenait un guerrier redoutable dont lui seul connaissait le courage et les prouesses sans nombre. Que  d'aventures il avait entreprises, que de victoires gagnées en compagnie de ce masque, merveilleux magicien qui vous transforme en n'importe lequel des personnages que vous rêvez de devenir !
    Mais le triste matin du départ, il avait fallu abandonner ces objets bien-aimés.
    - Pierre ne doit pas encombrer la voiture de choses inutiles, avait dit son père d'un ton définitif. Tu n'auras que plus de plaisir à retrouver tes vieux jouets à la rentrée...
    Et la seule consolation du petit garçon fut de ranger avec un soin très tendre les prècieux trésors dans une cachette où nul autre que lui-même n'aurait pu les retrouver.
    Au bout de quelques jours sur la plage, Pierre décida d'aller vers ces régions mystérieuses que la mer découvrait soudain à marée basse. Son pied enfonçait doucement dans la sable chaud et mouillé, de minuscules poissons d'argent flottaient entre deux eaux, nageant avec lenteur, comme pour se laisser prendre. Pierre avançait toujours. Il se baissait de temps en temps pour ramasser un coquillage dont la forme lui paraissait étrange ou amusante. Mais tout à coup il les lâcha tous en apercevant, luisant au soleil sur un petit banc de sable, solitaire dans toute sa splendeur, une sorte de grande oreille aux couleurs nacrées : c'était aussi un coquillage mais certainement d'une espèce unique, comme la mer n'en offre pas deux fois au regard d'un petit garçon en vacances. Pierre saisit sa découverte fabuleuse et courut brusquement vers la plage, pris de peur que les eaux ne veuillent lui reprendre sa conquête. Et pour être tout à fait sincère, il ne desserra les doigts qu'une fois rentré à la villa, tout au bout de la jetée. Dans sa chambre enfin, porte close, il posa le coquillage sur un mouchoir. Le contempla longuement, caressa cette matière soyeuse et ferme, puis roula son trophée dans le mouchoir en y faisant un noeud.
    Depuis cet après-midi-là, Pierre ne s'ennuya plus jamais. Il avait trouvé un nouveau confident avec qui il pouvait parler pendant des heures. Le coquillage semblait lui donner des tas d'idées nouvelles. Il y avait tant de jeux qu'une plage aussi vaste vous permettait d'inventer ! Pierre construisit, par exemple, d'ingénieux châteaux de sable. L'ennui, c'était que la mer venait lui enlever la nuit tous ces murs, toutes ces tours qu'il s'était donné tant de mal à édifier pendant le jour. Petit à petit, il recula ses constructions vers le haut de la plage. Un matin,il eut la joie de retrouver son oeuvre en place. Avec application, il y ajouta, cette journée-là, de nouvelles ailes, un pont-levis, puis consolida les remparts. Le lendemain, le coeur battant, il se glissa en cachette hors de la villa et courut dès l'aube vers la plage : le château paisiblement dressait ses tours dans le pâle soleil du petit matin. Ivre d'orgueil, Pierre retourna se coucher sans pouvoir dormir.
    Peu à peu la plage s'était peuplée. D'autres enfants étaient venus admirer le château de sable de Pierre. Ils lui avaient même offert de l'aider, mais notre ami préférait continuer son travail tout seul. Car le château prenait des proportions gigantesques. Rien ne semblait impossible à Pierre, à présent. Un démon s'était emparé de lui. Du matin au soir, il creusait des fossés, perçait des cours intérieures, prétendait élever des donjons toujours plus hauts. Le château primitif apparaissait misérable à côté des nouvelles constructions qui l'entouraient comme un prisonnier. Pierre avait organisé une petite salle hardiment placée au bas d'une énorme tour dans laquelle il déposait son coquillage, chaque matin, en arrivant sur la plage. Et le soir, tandis que ses parents criaient de loin, très fort, qu'il devait rentrer, il saisissait rapidement son coquillage, à l'abri dans sa cachette de sable.
    Le château devenait si fameux que deux messieurs vinrent un beau jour dire à Pierre qu'ils voulaient le photographier pour un concours organisé sur toutes les plages de la région.
    - Nous reviendrons demain, conclurent-ils. Essayez de l'embellir encore un peu, pour gagner le concours...
    Ce soir-là, en dut traîner Pierre jusqu'à la maison. Les yeux en feu, mort de fatigue, il tomba de sommeil sur son lit. Mais soudain, au milieu de la nuit, il se réveilla. Son coquillage, il l'avait oublié ! Il eut un peu de remords mais pensa que c'était bien inutile, au fond d'emmener cet objet chaque jour sur la plage. Il le laisserait à la villa dorénavant, au fond d'un tiroir. Le résultat du concours, voilà seulement ce qui était important ! Puis il se rendormit en croyant entendre quelques petites gouttes de pluie tomber sur les feuilles dans le jardin.
    Le lendemain matin, il n'y avait pas de soleil. Pour la première fois depuis des semaines, il faisait un grand vent. Pierre s'habilla en hâte. On lui permit d'aller jusqu'à la plage et de revenir. Sous son imperméable, il évitait mal le froid. La pluie retomba soudain très violente. La jetée était déserte. Pierre pressa le pas. Il eut l'impression d'avoir dépassé l'endroit où s'élevait son château. En hésitant, il regardait à droite et à gauche sur la plage vide et mouillée. C'était pourtant bien là qu'il se tenait, orgueuilleusement assis sur ses remparts, ce chef-d'oeuvre architectural ! Pierre sentait le sable humide pénétrer dans ses sandales. Les larmes aux yeux, il inspectait la terre. Rien, rien, rien !... Mais soudain, sur une espèce de petit monticule informe, il aperçut la moitié d'un coquillage aux couleurs tendres qui dépassait du sable.


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