• le chat de platine
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    Malgré ses protestations, M. Colerette fut conduit, menottes au poing, à la prison locale de Boum-et-Fitmah, où notre héros fut mis en cellule.
    Une cellule d'ailleurs tout à fait confortable. Il y avait l'eau chaude et l'eau froide, une douche, une petite armoire à glace, des fleurs sur la table, un frigidaire pour les bonbons glacés, et la télévision.
    Deux heures durant, le grand détective se morfondit entre ces quatre murs. Il se disait : "Que se passe-t-il sur le navire ?" C'était bien la peine d'avoir amené à travers la Méditerranée les trésors du ras ! Bien sûr, le Chat de Platine semblait en sécurité dans le coffre du feu capitaine. Mais qui pouvait garantir que, l'absence de M. Colerette se prolongeant, les bandits ne tenteraient pas une nouvelle attaque ?...
    - J'en ai assez ! gronda le "cerveau numéro un". je veux sortir d'ici !
    Une cloche retentit dans la cour de la prison. Par la fenêtre grillagée, M. Colerette aperçut un cortège de civils qui défilait, s'engoufrant dans un porche au fond de la cour. On voyait surtout des femmes, la plupart voilées. Sans doute était-ce l'heure de la visite aux prisonniers. Bientôt des pas traînants se succédèrent dans le couloir. Les visiteurs traversaient ce quartier pour se rendre au parloir. Une idée vint au détective !...
    - Ils ne connaissent pas Colerette ! murmura-t-il.
    En quelques gestes précis, il plaça dans le coin le plus éloigné l'unique chaise, sur laquelle il disposa le matelas tiré du lit. Il le surmonta de l'oreiller, qu'il entoura d'une écharpe et coiffa du célèbre petit chapeau. Le veston à carreaux enveloppa le haut du matelas, dont le bas fut ceint d'une couverture. Cela faisait une silhouette grossière, que compléta la fameuse pipe de merisier, plantée dans les plis de l'écharpe. Ensuite M. Colerette se drapa dans les draps de lit. L'un lui tombait sur les pieds : l'autre lui cachait les cheveux et le bas du visage.
    Satisfait d son déguisement, le détective sonna longuement. Puis il arracha le bouton de sonnette. Et il s mit à quatre pattes devant la porte.
    Dans le couloir, les pas traînants des visiteurs passaient maintenant dans l'autre sens : la visite était finie. A ces pas s'en mêlèrent d'autres, plus précipités : ceux du gardien, que la sonnerie avait alerté. Il ouvrit la porte, et tomba aussitôt en arrêt devant le mannequin. L'étonnement se peignit sur ses traits. Il fit un pas en avant...
    La suite fut rapide comme l'éclair. D'un mouvement sec, le détective avait fait basculer le gardien par dessus son dos. Bondir par l'ouverture, refermer la porte sur le gardien pris au piège, se glisser dans la foule des visiteurs, entre deux femmes voilées, auwquelles M. Colerette engoncé dans ses draps ressemblaient... comme une soeur : tout cela ne dura pas une seconde.
    Il n'y avait plus qu'à suivre le flot, jusqu'à la porte de sortie. Sans incident, M. Colerette atteignit le porche, traversa la cour, passa la poterne d'entrée...
    Hélas, à cet endroit arrivait pile le commissaire du port, qui avait arrêté notre héros !...
    Le fonctionnaire devait être joliment physionomiste car, dès que ses yeux rencontrèrent ceux de la fausse Musulmane, il eut un sourire moqueur :
    - Par ici, mon ami !... par ici !... Vous sortez tout à fait à point. Je venais justement vous conduire chez le chef de la police...
    Il y avait quantité de policiers et de soldats à proximité. Inutile de songer à prendre la fuite... Maudissant le mauvais sort, et conservant ses deux draps de lit, par contenance, le pauvre Colerette se laissa pousser dans la maison d'en face, qui était l'hôtel de police. Il comparut bientôt devant un échalas aux énormes moustaches. Au fond de la pièce se tenaient une demi-douzaine d'Abyssins en pantalons serrants, manteaux flottants et casques d'acier.
    - Qui êtes-vous ? demanda l'échalas d'une voix sévère.
    - Je m'appelle Egide-Lépide-Ardelion Colerette, fit noblement l'interpelé.
    - Hohohoho ! s'esclaffa le chef de la police.
    - Hahahaha ! firent en écho les Abyssins.
    - Ca ne prend pas, étranger ! hurla l'échalas, cessant de rire. Nous sommes avertis à votre sujet. vos subterfuges habituels sont sans effet ici. Au lieu de vous réclamer d'une identité illustre, mais empruntée, vous feriez mieux d'avouer franchement qui vous êtes, et de reconnaître vos méfaits.
    - Mais je vous assure que... "Sapristi ! se dit notre ami, mes pièces d'identité sont restées dans mon veston !"
    - Je vous dis que nous sommes avertis, imposteur sans vergogne !
    Le chef de la police prit sur son bureau un papier et le lut à haute voix :
    - Avis à la police égyptienne : L'individu qui se présente chez vous sous le nom de M. Colerette n'est pas du tout l'authentique, le célèbre détective. c'est un des pires suspects, personnage très dangereux, affilié probable de la bande du Double-Six et complice de M. Douze. A surveiller de très près. Que dites-vous de ça ?... Ce papier nous a été remis sur le bateau, de la part de M. Colerette luièmême.
    Effondré, le malheureux tenta encore de discuter. Le fonctionnaire lui coupa la parole :
    - Ramenez-le à la prison, avec ordre de lui appliquer cinquante coups de bâton sur la plante des pieds.
    Déjà des sbires aux faces patibulaires entraînaient notre homme.
    - Un moment ! lança l'un des Abyssins.
    Il tenait un petit livre contenant des photos, et comparait l'une d'elles au prétendu "personnage dangereux".
    - Excusez-moi, reprit-il, mais je constate un fait. Ce monsieur rssemble étonnamment au grand Colerette... Voici le "Who's who", annuaire qui contient le portrait de toutes les notabilités mondiales. C'est un document irrécusable. Jetez un coup d'oeil sur cette page... Et regardez votre prisonnier... Ce Colerette-ci pourrait bien être le vrai !
    Les pièces d'identité, qu'on alla chercher à la prison, sur l'indication du détective, achevèrent d'éclairer le chef de la police. Penaud, il se confondit en excuses. D'un geste digne, M. Colerette coupa court :
    - Cela suffit, dit-il. Je retourne à bord. Dieu sait comment mes adversaires, depuis trois heures, ont mis à profit cette bévue d'un fonctionnaire malavisé !
    L'homme à l'annuaire se présenta, avec sa troupe. c'était un détachement des Gardes du Palais, envoyés d'Addis-Abeba pour recevoir le ras et ses trésors, et pour les escorter de Port-Saïd à Djibouti...
    - Pourvu qu'il y en ait encore, des trésors ! s'écria le détective. Allons, Messieurs !
    Sans saluer l'échalas, il s'élança, suivi des six hommes en casque, vers le navire, d'où venaient depuis un moment d'étranges rumeurs...


    A SUIVRE


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