• gaz

    Jean Paul Berck avait commis au moins deux erreurs depuis qu'il était monté dans ce train. D'une part, il avait accepté d'échanger la couchette du bas qu'il avait réservé contre une du haut, par politesse envers une vieille dame rhumatisante. D'autre part, pour calmer sa faim, il avait ingurgité quatre oeufs durs avant de se coucher.
    Les places du haut, pourtant, ne lui conviennent pas, car il y est toujours sujet à un sentiment d'oppression qu'il n'arrive pas à raisonner. Cette nuit-là ne dérogeait pas à la règle, aussi ne trouvait-il pas le sommeil. Cela l'énervait d'autant plus que, des autres couchettes, lui parvenaient des souffles paisibles de dormeurs satisfaits.
    Plusieurs fois il changea de position, dans la mesure où l'xiguïté de sa place le lui permettait, sans autre résultat que celui de se me mettre en sueur. Il se dévêtit entièrement et posa ses affaires quelque part au-dessus de sa tête, entre deux valises. Ensuite il compta les moutons. Au bout de cinq troupeaux, il changea de tactique et se récita le discours qu'il prononcerait le lendemain matin pour inaugurer le congrès qu'il devait présider.
    Alors qu'il maudissait une fois de plus la grève surprise des piulotes de ligne qui l'obligeait à emprunter ce moyen de transport, indigne de ses hautes fonctions au sein de son entreprise, il sentit gargouiller en lui des gaz qui ne demandaient qu'à sortir.
    D'une contraction fessière il les renvoya dans les profondeurs intestinales qui les avaient vus naître, mais ils revinrent à la charge, tels de jeunes chiens fous à l'heure de la promenade.
    Grâce à un travail des sphincters d'une rare précision et à une nourriture saine, il avait toujours réglé ce genre de problèmes avec la maîtrise d'un vrai professionnel : sans bruit ni odeur. Cela lui était même arrivé plusieurs fois au cours de réunions très importantes dans la plus absolue des discrétions.
    Il se mit sereinement sur le ventre et, tout en retenant son souffle d'un côté, il entreprit d'exhaler un doux zéphyr de l'autre. Sa technique, pourtant très au point, fut malheureusement mise en échec par un cahot aussi brutal qu'intempestif. Un énorme pet retentit tandis qu'un jaillissement de matière visqueuse lui salissait les cuisses.
    Il resta pétrifié un moment. Si le bruit du train avait couvert en grande partie l'aspect sonore de sa prestation, il ne pouvait rien, en revanche, contre l'odeur pestilentielle qui envahissait le compartiment. Après avoir constaté avec un relatif soulagement que le sommeil de ses compagnons de voyage semblait ne pas être encore troublé, il décida de se rendre aux toilettes, le plus silencieusement possible, afin de nettoyer ce qui pouvait l'être.
    L'angoisse et l'humiliation l'avaient rendu fébrile. Lorsque sa main toucha dans le noir les vêtements qu'il cherchait à tâtons, il eut un faux mouvement qui les fit choir au sol. Il ne lui restait plus qu'à descendre de sa couchette en espérant ne réveiller personne.
    Dans le compartiment régnait une odeur écoeurante. Le sac de couchage de Jean Paul Berck, la croupe de Jean Paul Berck et les cuisses de Jean Paul Berck étaient souillés de merde.
    Monsieur Jean Paul Berck, conseiller de direction dans une très grosse entreprise, était nu, à quatre pattes dans l'obscurité, et cherchait ses vêtements. Soudain la porte s'ouvrit bruyamment.
    "On arrive dans 15 minutes" dit le contrôleur et la lumière inonda les lieux.
    Jean Paul Berck se réveilla en sursaut et respira profondément. Un immense soulagement l'envahit quand il constata que tout cela n'était qu'un cauchemar. Il n'y avait ni train, ni contrôleur, ni passagers et il n'avait pas fait sous lui.
    Le jour s'était levé. Ce 14 juillet promettait d'être radieux. Jean Paul Berck regarda autour de lui. Il était en slip et en chaussettes, il puait le vomi et il était assis sous l'Arc de Triomphe.


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