• l'horrible confession de l'inspecteur Coudrier

    Ma chérie,
    Je t'écris ces mots parce qu'il me serait impossible de te les dire en te regardant dans les yeux, comme on doit le faire lorsqu'on avoue la vérité à quelqu'un. Ne crois pourtant pas qu'il me soit plus facile d'écrire cette confession que de venir devant toi pour obtenir, non pas un pardon que je sais impossible, mais du moins une sentence clémente. Mon crime, car c'est un crime dont il s'agit, est trop abominable pour que j'espère éviter tes reproches que j'entends déjà, et surtout tes larmes qui m'affligent. Quel que soit le châtiment que le ciel me réserve, ta justice ne pouvant, malheureusement, m'atteindre, je l'accueillerai avec sérénité, presque avec joie. Il me libérera  du remord qui pèse sur ma conscience. J'ai l'avantage, par cette façon égoïste de te mettre au courant de la vérité, de pouvoir prendre mon temps, un temps qui m'est bien nécessaire pour trouver en moi le courage d'en arriver au fait et l'habileté de t'épargner la souffrance.
    Me voici donc, ma chérie, parvenu au point où il m'est impossible de reculer. Je dois parler. Ton beau visage ne peut plus me retenir. J'arrive à peine, à travers mes larmes à en distinguer les traits. Ton doux parfum grisant, si j'en perçois encore la fragrance à travers la fenêtre ouverte donnant sur ton jardin, je n'arrive plus à en sentir les effets organiques qui faisaient fondre en moi la volonté. Je suis donc libre de m'exprimer, libre de décrire le coup que je t'ai déjà porté et pour lequel je veux être condamné.
    Je sais qu'en lisant ce préambule tu as flairé l'odeur impie et nauséabonde de la trahison. Tu es surprise, déçue, blessée, outrée, mais aussi, je le sais, déjà prête à me pardonner. Hélas, s'il s'agit en effet de trahison, après que j'aurai qualifié ce mot, son odieuse signification prendra un nouveau sens qui ferait trembler Satan, lui-même et qui, je l'espère fauchera en toi toute velléité d'indulgence envers moi.
    Ma chérie, je t'ai abusée, je t'ai menti, je t'ai trompée. Encore une fois, je veux te dire que je t'ai trahie ! Mais comment t'ai-je trahie ? J'ai accompli ce misérable forfait en rompant nos vœux sacrés. En tranchant les liens qui unissaient deux êtres qui s'étaient donnés l'un à l'autre. En brisant les nœuds du mariage. Et maintenant, en brisant ton cœur demeuré pur alors que le mien est si corrompu qu'il ne bat plus que pour me punir. Si seulement, je pouvais m'arrêter là. Si seulement, il m'était permis de te dire : « Je te fus infidèle » et de m'en tenir là ? Il s'agit ici, d'une confession, non pas, d'une prière. Je dois préciser, expliquer, dévoiler la cause de ma conduite infâme. Alors je poursuis. Je pose les questions qui doivent être posées et surtout, auxquelles je dois répondre. T'ai-je trahi par faiblesse ? Par hasard ? Par ignorance ? Par besoin ? Par stupidité ? Par solitude ? Par revanche ? La réponse est non. Qu'est-ce qui m'y a poussé ? Le manque d'amour ? Le manque d'affection ? L'incompréhension ? Les malentendus ? L'amertume ? L'occasion ? La réponse est encore non. Je t'ai trahi par vice. Seul, le vice, fut la cause de mon crime.
    Ma chérie, je viens d'ouvrir tes yeux à la noirceur de mon âme. Il m'est aisé d'imaginer ton atterrement. Je t'entends crier. C'est incroyable ! Ce n'est pas vrai ! C'est impossible ! Non ! Pas lui ! Pas lui ! Tous les autres mais pas lui ! Il en est incapable ! Il est trop bon ! Il est trop franc ! Il est trop honnête ! Il m'aime ! Il m'adore ! Oui, je suis franc. Mais je suis malhonnête. Oui. Ce que je viens de t'avouer est la vérité. Je t'en supplie, n'y reviens pas ! Accepte la réalité. Accepte-la sans restriction et sans passion car cette réalité n'est que l'antichambre de la vérité que je ne t'ai pas encore présentée.
    Je viens, chère épouse, d'établir la culpabilité de mon âme. Il me faut, afin de compléter mon réquisitoire, en dévoiler les victimes. Si je t'ai lésée et fait un tort qui mérite la peine la plus sévère, tu n'es, hélas, pas la seule victime de mon vice criminel. J'ai abusé d'une autre personne. Une autre jeune personne. Une vierge. Une enfant sans défense. Je lui ai imposé mon puissant désir sans qu'elle put le repousser. Je l'ai immolée à la pulsion sévère qui fit de moi un être qui, dans la balance de la nature n'eût pas été qualifié pour se mesurer à un animal sauvage. Cette jeune fille, je l'ai humiliée, salie, défigurée, déflorée, débaptisée, maudite. Ma passion infecte me poussa à la violenter au-delà de la violence. Au-delà des voies normales. Toujours sans son consentement et jusqu'à ce que son corps en arrivât au point de se décomposer, je la possédai, plongeant dans les deux vases, l'arme de mon crime.
    Ma chérie, tu vois qu'il existe une autre victime. Cette autre martyre, plains-la, comme je la plains et venge-la, comme je veux être châtié. Il n'est plus question de pardon. Plus question de s'étonner ou de comprendre. Il est temps de punir. Punir doublement. Car cette nouvelle proie de mon désir malin fait de toi, par son nom, ma double victime. Je te vois pâlir. Je crois que tu devines. Je suis sûr que tu as deviné. Tu t'interroges, non plus sur ma culpabilité, mais sur l'identité de ma victime. Tu cherches avec angoisse dans ton cœur et dans ta mémoire. Aurais-je été aussi loin ? Aurais-je dépassé les limites humaine de l'inhumanité ? Aurais-je commis le crime intrinsèque ? Le crime sans nom ? Je n'ai pas le pouvoir de te rassurer. Je ne peux que t'aider à confirmer ce que ta raison t'a déjà suggéré. Je ne puis que continuer de me confesser.
    Ma chérie, tu tentes vainement de découvrir le nom de ma victime parmi ceux des êtres que tu chéris le plus. Plus proche de ton cœur sera l'innocente immolée à mon vice et plus grande sera ta douleur. Tu cherches avec désespoir. Tu cherches en espérant chaque fois te tromper. Tu cherches sans désirer trouver. C'est encore à moi de t'aider dans cette enquête dont je veux pouvoir tirer la sentence qui me convient. C'est encore à moi de poser des questions. Et d'y répondre. Est-ce une voisine ? Non. Est-ce une connaissance ? Non. Est-ce une amie ? Non. Est-ce une parente ? Une cousine ? Non. Une sœur ? Non. Une enfant ? Oui. Ton enfant ? oui. Notre enfant ? Oui.
    Ma chérie, j'arrive à la fin de ma confession. Tu te demandes enfin, si j'ai autre chose à ajouter. Il semblerait difficile de l'imaginer. Et pourtant. Je devine encore dans tes yeux que le doute vient de t'assaillir. Tu te demandes… Tu te dis que… L'enfant dont je parle… cette enfant n'existe pas, ou du moins, n'existe plus…. Alors ? Alors, tu calcules. Tu comptes les jours, les heures qui nous séparent de la mort de cette enfant. Tu étudies minutieusement les possibilités, les probabilités… La ! Oui ! Tu as enfin deviné. J'ai violé son cadavre. J'ai violé le cadavre de la petite Aubert.
    Pardon.
    Pour les autorités, je signe :
    Inspecteur Coudrier.


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