• le chat de platine

    le chat de platine
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    La réception du ras à la gare de Marseille avait été fastueuse. Toutefois, Lipari-Mahonen avait oublié d'introduire, comme il se l'était promis, du poil à gratter dans le cou des hauts fonctionnaires qui lui souhaitaient la bienvenue. Cette distraction avait pour cause la hâte, qu'éprouvait Sa Seigneurie, de retrouver et de remettre en marche le petit chemin de fer électrique, encore déposé aux bagages.
    Avant de monter à bord de l'"As de Carreau", qui l'attendait au bassin de la Joliette, le ras alla se reposer quelques heures au consulat général de son pays, rue Raimu.
    Tout de suite, M. Colerette établit autour de l'immeuble un service de surveillance. Les agents venus de Paris se tenaient aux portes. Dans le grand vestibule veillaient cinq abyssins tout à fait sûrs, recrutés par le consul. Marinon, Jean-Jacques, la vieille bonne et le canard s'installèrent dans l'antichambre. Des deux cabinets principaux, l'un était réservé au ras, qui se distrayait provisoirement en soufflant dans un mirliton; l'autre était réservé à la "suite" du noble personnage, laquelle comprenait maintenant Tiffon-Palamos, M. Laitance et le célèbre détective.
    Presque immédiatement, Ygrec repartit en sifflotant, comme un touriste qui va visiter la ville. Il revint peu après, un seau de faïence à la main. Son oncle, qui sortait à son tour, lui dmanda ce qu'il y avait dans ce seau. Jean-Jacques rougit :
    - C'est de la pâte à modeler. Je me suis découvert des dispositionspour la sculpture.
    M. Colerette éternua : son rhume de cerveau n'allait guère mieux, malgré les bains de pied à la moutarde.
    - Bon, bon ! Exerce-toi, mon garçon, soupira-t-il. Prépare ton avenir ! Puisqu'il n'est pas question que tu puisses me succéder !... Hélas ! les dons de détective ne sont pas héréditaires !
    Le cher homme s'en alla de son pas pressé. Il voulait s'assurer, chez le capitaine du port, que l'"incartade" des enfants, envoyant le chat-de platine par la poste, n'avait pas eu de désagréables conséquences.
    Malheureusement, le capitaine du prt était en tournée. Il avait laissé un mot, à l'adresse du ras ou de son représentant :
    "Le colis est bien arrivé. je vous l'envoie ce soir, dès mon retour".
    Tranquillisé par cette nouvelle, M. Colerette se déguisaen lord anglais, selon son procédé personnel, et se dirigea vers le port.
    Il se disait que, si les hommes de M. Douze poursuivaient l'accomplissement de leurs mauvais desseins, concernant les trésors du ras, nul doute que certains des leurs dussent rôder non loin du bateau, en attendant de s'y embarquer, clandestinement ou non.
    Le hasard servit notre "cerveau numéro un". A mi-hauteur de la Cannebière, il vit sortir d'une grosse voiture un quidam, blond filasse, le nez en pied de poële, dont le poignet droit portait de part et d'autre un double sillon rouge. Le pouce était spatulé, les articulations concaves. Ces détails rappelaient quelque chose au détective. Mais quoi ?... Il se frappa le front :
    - J'y suis ! C'est la main qui m'a saisi l'autre nuit dans le couloir du quatrième wagon. La main que Marinon, inconsciemment, avait faite prisonnière et que j'ai eu le tort de laisser échapper. Bref, la main du faux spahi.
    Le blondain n'était encore qu'à dix pas. Il entra dans une ruelle où M. Colerette le suivit.
    Tout de suite, poursuivant et poursuivi se trouvèrent dans un de ces quartiers en dédale qui entourent le port de la grande cité marseillaise. Des habitudes singulières règnent dans ces quartiers, où la police municipale ne pénétre guère; on les voit tantôt grouillants d'une population bigarrée et interlope, tantôt complètement déserts. A l'heure où notre ami s'y engagea, filant l'homme au poignet meurtri, on n'y voyait âme qui vive.
    Il y eut deux coudes brusques, puis une petite place, où s'amorçait une impasse.
    - Je le tiens ! se dit M. Colerette.
    Pas encore : le faux spahi entra dans une maison, au fond de l'impasse. C'était un café malpropre, qui prenait jour par une fenêtre voilée d'un rideau rouge.
    En s'approchant, notre limier constata que ce rideau n'était pas bien tiré.
    Franchir les derniers mètres sans faire le moindre bruit, se coller au mur entre porte et fenêtre, glisser le regard par la fente, était pour M. Colerette un jeu d'enfant.
    Dans une demi-obscurité, il aperçut son quidam, en conférence avec quatre autres inconnus. Par le fond, arrivèrent un cinquième et un sixième. Le détective faillit pousser un cri d'étonnement : il avait reconnu Jocast et le "bon vivant" !
    Plus loin, à l'angle du comptoir, se dissimulait une silhouette étrange et sinistre. Un être énorme, au dos voûté, à la tête mal distincte sous un panama aux bords plongeants, au corps perdu dans un pardessus mac-farlane qui descendait jusqu'à terre...
    Les sept individus écoutaient, dans une attitude respectueuse, le bossu qui, visiblement, leur donnait des instructions, en ponctuant ses propos d'un geste autoritaire.
    - Sans aucun doute, voici les membres principaux de la bande, pensa M. Colerette. Mais comment les faire coffrer ?
    A ce moment, le bossu tira de sa poche une demi-douzaine d'objets, qu'il répartit à la ronde.
    - Ce sont des dominos ! Probablement des "double-six". Et l'homme qui les distribue... J'y suis ; c'est M. Douze en personne !
    L'émotion stimula le rhume de M. Colerette. Un picotement lui monta au nez. Et il éternua avec fracas !
    Les bandits levèrent la tête tous ensemble. Ils virent cette face indiscrète collée à la fenêtre...
    Ce fut une ruée vers la porte. déjà notre ami avait pris ses jambes à son cou.
    Sortant de l'impasse et traversant la petite place, il s'enfonça dans le lacis des ruelles, poursuivi par ses dangereux adversaires, dont les pas précipités se rapprochaient derrière lui.


    A SUIVRE


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