• un an de grandes vacances
    13


    - Ils nous rattrapent !
    Firmin avait épaulé sa carabine.
    - J'attends, dit-il, qu'ils soient à bonne portée, pour leur envoyer dans la coque un pruneau bien placé, qui provoquera une voie d'eau...
    - Oh ! c'est bien inutile, fit avec calme Merlon. Ils prendront leur bain tout seuls. Tandis qu'on chargeait le matériel, je me suis amusé à percer, de la lame de mon couteau, chaque embarcation, juste un peu au-dessus de la ligne de flottaison. Ainsi, ils ont pu s'embarquer normalement, mais voyez, avec la houle, ils commencent à avoir le derrière dans la flotte...
    De fait, depuis un instant, les Papous s'agitaient singulièrement. Certains essayaient de colmater les brèches, mais comme leurs pirogues s'enfonçaient une à une, les sauvages poussaient d'horribles cris et se précipitaient à l'eau pour regagner le rivage en nageant.
    Nous exultions de joie.
    - Bravo, Merlon ! Tu est génial ! A toi seul tu mets hors de combat toute une flottille !
    le gros garçon se rengoirgeait de plaisir :
    - Comme l'oeuf de Christophe Colomb, c'était simple, conclut-il, mais il fallait y penser.
    - A propos, remarquai-je, si Colomb mit tant de temps à trouver un continent comme l'Amérique, nous risquons de passer quelques semaines à découvrir notre nouvelle île...
    - C'est juste, opina Pergaud. Nous n'avons ni carte ni sextant. Quelle raison avons-nous de voguer par ici plutôt que par là ?
    - Gardons notre sang-froid, proposa M. Dalbret. J'ai à ma chaîne de montre une petite boussole-breloque qui nous sera utile. Voyez ! Elle indique par là le Nord.
    - Actuellement, nous marchons donc cap au Sud, remarqua Bertrand.
    - Exactement. Un vent constant nous y pousse et j'ai l'impression que nous pouvons nous laisser porter au sud. Voyez, là-bas à l'horizon, devant nous, ce vol d'oiseaux. C'est selon toute vraisemblance le signe qu'une terre se trouve dans cette direction. Remettons-nous en à la Providence et tâchez, mes enfants, de prendre un peu de repos pendant que je veillerai.
    J'ai tout lieu de supposer que vous n'avez jamais dû dormir, en plein océan, dans une pirogue polynésienne. La nôtre, heureusement, était une pirogue à balanciers, de belle dimension. Elle devait avoir huit mètres de long et une largueur suffisante pour se coucher à deux, côte à côte, lorsqu'on est de corpulence normale. Elle n'en constituait pas moins un fétu de paille sur cet océan qui couvre, à lui seul, plus que toutes les terres du globe et 43% de la surface totale des mers.
    Dans le fond, nous avions étendu les prélarts dont se recouvraient les dormeurs pour se préserver du crachottement des embruns. Je ne pouvais m'empêcher d'admirer l'ingéniosité avec laquelle ces sauvages construisaient leurs embarcations. La nôtre était faite d'un bois léger mais très résistant. La coque avait été enduite de résine, sorte de colle goudronneuse, qui la rendait étanche et sur laquelle avait été tendue une écorce fraîche de bananier, qu'on avait battue jusqu'à la réduire à l'état de toile. Les caisses et les objets de poids avaient été placés à l'arrière pour assurer la stabilité et équilibrer l'effort de la voile située au premier tiers avant? Le plus pénible pour nous était l'impossibilité de nous détendre les jambes.


    A SUIVRE


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