• un an de grandes vacances

    un an de grandes vacances
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    M. Dalbret crut devoir répondre avec courtoisie mais dignité :
    - Commandant, je vous remercie, au nom de mes élèves, de votre accueil, pourtant, je crois de mon devoir de protester respectueusement mais avec fermeté contre le traitement de prisonniers infligé à des non-combattants...
    - Herr Professor ! coupa le baron, auriez-vous préféré couler avec votre "Espérance" ? Der Teuffel ! Je n'avais pas le choix... D'ailleurs, votre captivité ne peut être de longue durée. En huit jours nos armées seront à Paris et en quinze jours, à Londres et à Moscou. Je me prénomme Victor, et vous n'ignorez pas, Messieurs les latinistes, que Victor signifie vainqueur !
    Et avec un petit rire de la gorge, très aristocratique, il sortit, plein de dignité.
    Nous nous installâmes tant bien que mal dans l'étroit carré qui allait constituer pour quelque temps, notre domicile. Lorsqu'on se laissait hisser par un camarade, on pouvait atteindre l'un des hublots grillagés qui  aéraient la cabine. Mais on n'apercevait, sous la lune, que l'eau couleur gris de plomb. Finalement, chacun se coucha, non sans que Merlon n'eut, à la suite d'une fausse manoeuvre de son gros ventre, basculé plusieurs fois de son hamac avec toute sa literie.
    Nos émotions avaient mis nos nerfs à rude épreuve. Mais, peu à peu, la fatigue eut raison de notre nervosité, malgré les trépidations des machines poussées à toute vitesse et les allées et venues, dans la coursive, de l'équipage alerté.
    - Crois-tu que le croiseur anglais soit toujours à nos trousses ? demandai-je à Firmin qui baillait, à côté de moi.
    - En tout cas, les chaudières donnent à pleine pression, répartit ce dernier. Malgré ses airs de matadore, je pense que le baron n'est que médiocrement à son aise.
    - Et l'équipage de l'"Espérance"... Que serait-il devenu ?
    - Il ne tardera pas à rejoindre la côte ou à être aperçu par quelque embarcation...
    - Es-tu rassuré sur notre sort ?
    - Je t'avoue, confessa Firmin, que j'aimerais autant que le croiseur anglais nous ait perdu de vue. Je n'ai jamais pris part à un combat naval et je souhaiterais remettre cette expérience à plus tard...
    Comme il achevait cette phrase, un long miaulement, suivi d'un coup de tonnerre, fit bondir nos camarades de leurs hamacs.
    - Ca recommence, gémit le petit Bertrand.
    Les coups se succédaient maintenant à bref intervalle et, soudain, les canons du "Kreoprinz" se mirent à tirer à leur tour. A chaque décharge, le navire était secoué et l'on aurait dit que les tôles d'acier qui nous portaient allaient se disjoindre.
    Nous nous étions instinctivement groupés autour de M. Dalbret, qui drapé dans son drap de lit s'apprêtait à mourir avec le détachement d'un tribun antique. Le petit Bertrand avait fermé les yeux et claquait des dents. Les autres faisaient bonne contenance. On dit que la jeunesse ne craint pas la mort car elle ne connaît pas encore pleinement le prix de la vie. Et c'est peut-être exact.
    - C'est le croiseur anglais qui est arrivé à portée de tir, suggéra Langlois. J'ai entendu dire que les gros canons de marine pouvaient envoyer à trente kilomètres des obus pesant jusqu'à une tonne !
    A ces mots, Merlon, assis à terre au fond de la cabine, crut prudent de se coiffer la tête et les épaules de sa paillasse.
    - A moins, fit Pergaud, que nous ne soyons en train de franchir le détroit sous le feu des batteries côtières d'Aden ?
    - C'est bien possible, opina M. Dalbret. Le ciel commence à s'éclaicir. Il est passé quatre heures et, à cette vitesse, nous avons dû parcourir un bon bout de chemin depuis minuit...
    Soudain, un coup, plus violent que les autres, nous précipita tous sur le sol.
    - Cette fois nous avons été touchés, fis-je inquiet. Il me semble que le baron donne de la bande; je ne parviens plus à conserver mon équilibre...
    - C'est peut-être que tu as les pieds sur mon bras, risqua Merlon, tandis que le petit Bertrand, frappant des deux poings sur la porte étanche, hurlait :
    - Ouvrez ! Mais ouvrez donc ! Nous coulons !


    A SUIVRE


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