• un an de grandes vacances

    un an de grandes vacances
    5


    Pourtant la canonnade avait cessé. Le navire ne coula pas et, peu à peu, tout rentra dans l'ordre. Si le "Kronprinz" avait été touché, ce ne pouvait être que dans sa superstructure et non dans ses oeuvres vives. Nul ne songeait plus à dormir. Chacun éprouvait le besoin de plaisanter, de parler et de rire, comme il est naturel chaque fois qu'on se sent en sécurité après un danger.
    Deux heures plus tard, la porte de notre prison s'ouvrit et un matelot nous apporta une cruche de café, des écuelles et des tranches de pain beurrées.
    - Chic ! lança Merlon, je me sentais un fameux creux dans l'estomac.
    Après le déjeuner, nous fûmes priés de monter sur le pont, pour y faire, torse nu, la demi-heure règlementaire de gymnastique. Le soleil était splendide, et l'atmosphère respirable. Dès qu'on est sorti de la mer Rouge, on perd cette impression d'étouffement causée par les souffles brûlants des déserts de sable voisins. Le grand large nous revigorait les poumons.
    - Vous avez droit, nous dit le lieutenant Muller, à une heure de promenade ou de gymnastique, matin et soir, pour autant que les circonstances le permettent. Il faut que tous à bord soient en bonne santé. Un malade est une gêne pour la communauté. Je vous prierais, Herr Professor, de veiller à ce que chaque élève exécute les mouvements d'ensemble avec énergie.
    - Pourquoi me regarde-t-il, en disant ça, soupira le gros Merlon, un peu vexé, en cherchant à dissimuler sa bedaine.
    Notre vie de captifs à bord n'était pas désagréable. Le calme revenait dans nos esprits et n'eut été l'inquiétude des nôtres laissés sans nouvelles, nous aurions presque souri de notre incroyable situation. Comme on nous avait permis de conserver nos bagages, nous parvenions à occuper nos loisirs forcés. Célestin Langlois possédait un jeu de cartes et nous avait appris un nouveau jeu très joué en Angleterre : le whist. A Firmin Labadou, qui avait la déplorable habitude d'interroger indirectement ses partenaires, M. Dalbret répétait en souriant :
    - Motus! Firmin. Whist veut dire silence! et chacun se moquait du bavard.
    Le petit Bertrand avait composé sur l'océan, une ode que notre professeur trouvait d'une belle venue. Le soir, nous discutions amicalement, sur un sujet choisi au hasard et sur lequel chacun, en manière d'exercice d'élocution, devait donner son opinion motivée. Parfois encore, on se livrait aux jeux de société que permettait l'exiguité du local. Bref, le temps passait, et comme nous étions jeunes, nous ne nous tracassions pas trop des dangers futurs et de la perte de notre liberté.
    Un matin, nous naviguions déjà depuis une dizaine de jours dans les cales du "Kronprinz", M. Dalbret fut appelé chez le commandant. Merlon semblait un peu inquiet. Comme nous le pressions de questions, il se décida à parler :
    - Je suis embêté... Il va peut-être sabouler le "vieux". Hier soir, à la promenade, en passant devant la cuisine, j'ai chipé dans un plat quelques beignets qui refroidissaient sur le rebord de la fenêtre.
    - Tu es impossible, à la fin, fit Bertrand. Tu vas nous faire punir tous...
    - Tu sais, déclara Pergaud, que dans la marine allemande on châtie les voleurs en les suspendant par les deux pouces aux étais, pour leur administrer sur le dos nu douze coups de garcette?
    - Ou encore, renchérit Langlois, on les lie à un cordage et on les fait passer sous la quille du navire. Ils en sortent à moitié asphyxiés, s'ils ont la chance de ne pas rencontrer des requins.
    Le gros Merlon était effondré.
    - Crois-tu que le baron s'en sera aperçu?... questionnai-je. En as-tu pris beaucoup?
    - Non, heu... Six, sept... Dix, peut-être. J'ai rempli mes poches...
    Notre camarade avait un air si déconfit que nous éclatâmes tous de rire.


    A SUIVRE


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :