• un an de grandes vacances
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    Depuis que nous avions trouvé accueil à Hono-Rourou, nous étions ancrés dans un sentiment de sécurité qui nous avait fait oublier nos angoisses de l'île Toussaint. Cet ultimatum des Papous, nous rappela brusquement que nous étions aux antipodes, loin de toute civilisation, entoutés de sauvages dont beucoup pratiquent encore le cannibalisme.
    Déjà Hama-Koua répondait aux émissaires.
    - Le roi, traduisit pour nous M. Dalbret, refuse d'otempérer à cette demande. Il dit que ses frères blancs sont sous sa protection et que toute atteinte à leur vie, il la considérerait comme une offense personnelle.
    - Bravo, opina Firmin Labadou. Je propose de descendre à coups de carabine ces trois macaques s'ils ne décampent pas en vitesse.
    - Ne bougez pas, ordonna M. Dalbret. Ce serait une grave maladresse. Les Papous se retirent. Mais ils disent que nous avons détruit des pirogues sur une île alliée et qu'ils se vengeront.
    Les trois épouvantails redescendaient, en effet, le chemin qui mène vers la plage en gesticulant d'une manière inquiétante, en maugréant des menaces sous les huées des Maoris rassemblés autour du roi. Nous les suivîmes jusqu'au bord de l'eau, la carabine à la hanche, à la lueur de torches de résine. Lorsqu'ils se furent embarqués et éloignés du rivage, Hama-Koua confia à notre professeur que ces Papous étaient d'une race particulièrement agressive. Son frère, qui régnait sur une île à cinq jours de pirogue de Hono-Rourou, avait déjà eu affaire à eux, il y a quelques années. Ils étaient d'une férocité sans exemple. Ils avaient rasé le village de son frère, qui avait été tué en combattant, et avaient emmené en esclavage les femmes et les enfants.
    - Croyez-vous que les Papous tentent de nous attaquer ici ? interrogea Pergaud.
    - La chose est vraisemblable, répondit M. Dalbret. Mais le danger n'est sans doute pas immédiat. Il leur faudra rassembler leur monde et les pirogues de plusieurs îles alliées avant de tenter un débarquement.
    - Il serait bon d'être sur nos gardes, dis-je à mon tour. Si Hono-Rourou semble imprenable par l'est, rien n'est plus aisé que d'accoster par la plage à l'ouest, ou même d'escalader les rochers, soit au nord, soit au sud; nous l'avons souvent réussi par amusement.
    - C'est pourquoi, approuva M. Dalbret, je vais dès demain matin, proposer au roi de mettre l'île en état de défense.
    Cette nuit-là, notre sommeil fut à nouveau assez agité. Le pauvre Pergaud revivait les heures tragiques qu'il avait passées jadis comme prisonnier aux mains des Papous. Firmin, lui, rêvait combat et escarmouches. Langlois, le futur polytechnicien, dressait déjà, tel Vauban, des ceintures de fortifications, et Merlon, en prévision d'un siège, songeait à effectuer des stocks de vivres.
    Le lendemain, nous fimes le tour de l'île en pirogue afin d'examiner, au point de vue stratégique, les mesures à prendre pour sa défense.
    On décida d'élever sur la plage, une palanque de troncs d'arbres. Cela constituerait un solide mur de défense, derrière lequel il nous serait possible de nous abriter pour repousser une agression. Ce fut un rude travail, car la plage avait plusieurs centaines de mètres de longueur. Mais les indigènes qui détestaient les Papous, travaillaient avec coeur à la besogne, et la forêt qui garnissait le plateau central fournissait un bois excellent et semblait inépuisable. On débitait les arbres abattus en haut de la pente; puis on laissait rouler les troncs jusqu'à la grève. Une fois le mur de bois dressé, on perça par endroit des meurtrières et on le flanqua même de trois postes de guet surélevés, d'où les sentinelles avaient vue sur l'estran tout entier. On avait pratiqué, au milieu, une large porte en herse, qui se relevait en coulissant.
    Sur les côtés nord et sud de l'île, au sommet des rochers où l'escalade paraissait possible, on installa de petites plates-formes percées d'un trou dominant le vide, semblables aux "trous de chat" des huniers qu'on voit aux mâts des voiliers. De ces machicoulis, il était possible de déverser sur les assaillants assez téméraires les projectiles les plus divers.


    A SUIVRE


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