• un an de grandes vacances
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    Le soir, tandis que nous nous reposions dans notre cabane, en jouant avec deux mignons ouistitis, Flik et Flok, que m'avait donnés mon ami Mokini, nous écoutions la sérénade que nous jouaient dehors quelques musiciens indigènes. Ils grattaient, en chantant, des sortes de guitares très primitives, en bois creusé, garnies de boyaux de singe.
    Cette musique nostalgique nous faisait rêver et, à ce moment, plus d'un d'entre nous sentait le mal du pays, l'appel des absents. Un soir, je fus pris d'une étrange tristesse : j'évoquais le visage de mes parents et j'étais cruelllement troublé de ne plus pouvoir me souvenir du timbre de voix de ma mère.
    Mais le lendemain, après une nuit de repos, nous étions repris par la vie active et le spleen de la veille s'était envolé.
    Nous étions à Hono-Rourou depuis plusieurs mois. La saison des pluies était venue, mais heureusement, elle fut de courte durée. Dans cette partie du Pacifique, la mousson n'exerce son influence que durant quelques semaines. LKa terre sèche absorbe avidement les averses torrentielles et toute la végétation en sort rafraîchie pour plusieurs mois.
    Durant cette brève saison, réfugiés à l'abri de notre case, nous mettions à profit nos loisirs pour bricoler de menus objets, réparer notre matériel et notre linge. Fimin s'était taillé une superbe pipe en racine, dans laquelle il parvenait à fumer le terrible tabac indigène; en effet, nos cigarettes étaient épuisées.
    Personnellement, je mettais mes notes à jour; M. Dalbret m'avait chargé de tenir le journal de bord.
    On commençait à désirer ardemment la venue d'un navire qui nous eût ramanés au pays, car la saison des pluies est assez démoralisante. Mais l'état de guerre existait peut-être encore, ce qui expliquait un ralentissement dans le trafic maritime.
    Vers la fin de la mousson, nous pûmes contempler du haut du promontoire, à la pointe est de l'île, le phénomène grandiose d'un typhon. A une trentaine de kilomètres d'Hono-Rourou, une immense trombe marine, tourbillonnant à une vitesse fantastique, semblait réunir les nuages à la mer. Elle arrivait à l'horizon, courait en un immense arc de cercle, pour disparaître hors de notre vue, en quelques secondes. Elle eût pulvérisé tout bateau rencontré, elle eût dévasté toute île qui se fut trouvée sur sa route. A quelques milles de cette colonne d'eau gigantesque, la mer conserve son calme. Hono-Rourou ne subit pas le moindre dégât. Les indigènes accoutumés à ce phénomène n'y prêtaient guère attention.
    Les pluies avaient cessé et nous vivions à nouveau au dehors. Une nuit que nous dormions paisiblement, nous fûmes réveillés par le bruit d'une discussion.
    - Kanak, Kanak, criaient des voix de Maoris.
    M. Dalbret sortit pour voir ce qui se passait. Sur la place du village, trois Papous, la chevelure traversée de tibias de hérons, le visage couvert d'ocre jaune, discutaient avec animation devant Hama-Koua impassible.
    - Kanak ke koua noa karai; fit le roi en se tournant vers notre professeur. Celui-ci avait pâli.
    - Les Papous exigent qu'en nous livre à eux, traduisit-il.


    A SUIVRE


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