• un an de grandes vacances
    21


    Je n'ai pas l'intention de faire ici le journal complet de ce qui fut notre vie à Hono-Rourou. Je risquerais de me répéter. Je veux seulement donner quelques aperçus d'une existence pour le moins peu commune et marquer les principaux jalons de notre aventure.
    Nous avions, faut-il le dire, oublié le collège et les cours. Nos mains étaient si calleuses que nous aurions été en peine de manier un porte-plume ou un crayon. Seul le petit Bertrand, que sa fragilité physique exemptait des dures besognes, soignait encore ses jolies mains de pianiste. Il était, en quelque sorte, depuis l'histoire de la statue, devenu le ministre des Beaux-Arts du roi Hama-Koua. Il avait fondé une académie en plein air, où les jeunes Maoris, armés de fusains, apprenaient à tracer des figures stylisées d'êtres humains et d'animaux. Certains devinrent vite fort habiles dans l'art graphique au point de décorer de fresques très réussies la case du souverain.
    Merlon, de son côté, avait entrepris de purger l'île des vipères pour lesquelles il éprouvait une crainte révérencielle. A l'époque de la ponte, il parcourait, du matin au soir, avec les gamins indigènes, les anfractuosités rocheuses où ces reptiles cachent leurs nids; d'un coup de baguette souple, on brisait l'épine dorsale des parents et on écrasait dans l'oeuf la progéniture. Le soir, Merlon nous annonçait fièrement le relevé du tableau de chasse de son équipe. Le résultat de cette croisade "antivipérine" fut excellent. Le nombre des bébés maoris mordus par ces ophidiens diminua sensiblement. Aussi les "vahinés" offrirent-elles un jour, solennellement, au gros Merlon un énorme collier de fleurs blanches en signe de reconnaissance. Le héros de la fête était confus de plaisir. Mais Firmin, toujours taquin, lui trouva, ainsi affublé, un air de boeub gras qu'on promène au cortège de la mi-carême.
    Nous étions installés dans notre nouvelle existence. M. Dalbret veillait à ce que chacun fût occupé afin d'éviter la démoralisation qu'entraîne le désoeuvrement. Il avait conçu un vaste plan pour améliorer les conditions de vie des indigènes, plan que le roi Hama-Koua avait ratifié avec enthousiasme. tout en conservant à l'île son caractère que lui eut enlevé une modernisation inopportune, notre vieux maître voulait urbaniser le village. Ainsi les indigènes déversaient devant leurs cases les ordures ménagères. Cet état de choses attirait des insectes. M. Dalbret avait organisé un service de voirie. Nous étions arrivés à construire un chariot qui, traîné par un buffle, récoltait les déchets alimentaires pour aller les déverser à l'extrémité de l'île, dans le cratère éteint d'un petit volcan refroidi. Le village devint, en quelques jours, d'une propreté exemplaire.
    Une autre innovation avait été l'acheminement de l'eau potable jusqu'aux habitations. Langlois, le futur ingénieur, avait calculé la résistance des matériaux et le rendement du débit. Une suite de rigoles, creusées dans des demi-troncs évidés, amenait l'eau de source, depuis la cascade jusqu'au village. Ainsi les ménagères disposaient sur place d'eau potable, ce qui les dispensaient de longues courses chargées de leurs cruches.
    Les indigènes, comprenant que ces travaux s'opéraient dans leur intérêt, nous apportaient avec ardeur leur habileté d'artisans. Notre rôle consistait à diriger les équipes, à coordonner les efforts suivant le plan d'ensemble.
    Nous avions aussi installé un sémaphore qui nous permettait, le cas échéant, de correspondre en morse d'un bout à l'autre de l'île. Trois mâts, munis de bras, avaient été dressés, l'un sur la plage à l'ouest; un deuxième, servait d'intermédiaire, à la hauteur du village, au centre de l'île; un troisième à l'extrémité est. Grâce aux bras articulés, au moyen desquels on exécutait des signaux de télégraphie optique, il nous était possible de transmettre de courts messages. Pergaud avait instruit quelques jeunes indigènes débrouillards, qui notaient les signaux et nous les communiquaient par porteur. C'était la règle des P.T.T. d'Hono-Rourou.
    Tout cela était passionnant pour nous. Car, en nous amusant et en développant à la fois notre esprit et nos muscles, nous avions la certitude de faire du bien à ces excellents maoris, qui nous avaient si aimablement accueillis.


    A SUIVRE


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