• le chat de platine
    19


    Michel-Ange Olivarès, à supposer qu'il existât, habitait non loin du port de Marseille, et spécialement près du bassin où l' "As-de-Carreau" attendait ses passagers ?... Il faut le croire, puisque, s'étant déchargé de son colis enveloppé dans une serviette mouillée, le jeune Jean-Jacques s'engagea bientôt sous un hangar timbré aux insignes de la Compagnie Générale Méditerranéenne.
    Sur le sol, en traînées de plâtre et de sciure, se voyaient les traces des nombreuses caisses que le paquebot avait englouti dans ses cales durant l'après-midi. Dans un coin, quatre matelots nonchalants déplaçaient encore quelques carcasses de planches à claire-voie. Quelques-unes furent placées sur le chariot à moteur qui devait les conduire à portée de la grue de chargement. Les autres furent abandonnées un instant, quand un petit homme en manches de chemise descendit la passerelle mobile et distribua aux matelots des bouteilles de bière.
    Tandis que les hommes de corvées buvaient à la régalade, avec force discours et facéties, Jean-Jacques, se glissant de pilier en pilier, parvint à proximité des singulières carcasses.
    Elles portaient une inscription en grande lettres :
    "Musée d'Egyptologie du Caire. Envoi de la Société Champollion, à Genève".
    Ygrec se rappela ce qu'avait dit de ces colis le capitaine Gourgourax. Sans doute contenaient-ils des sarcophages, prêtés pour une exposition, et qu'on renvoyait en Egypte, sarcophages reconnaissables à leur forme oblongue et basse. Le jeune garçon se pencha pour les examiner, à travers les ouvertures.
    A présent, les matelots jouaient au bouchon en dehors du hangar. Notre ami pouvait satisfaire à sa guise l'intérêt qu'il portait aux vestiges de l'antiquité.
    - D'après l'allure générale, se dit-il, ce sont là des pièces superbes, remontant probablement aux XVè et XVIè Dynasties...
    Accroupi devant la pile de caisses, il apercevait la jointure de la pierre, cette jointure si parfaite qu'on ignore comment les anciens égyptiens obtenaient ce poli sans défaut. Soudain, Jean-Jacques eut un sursaut... L'une des étranges boîtes était légèrement entrebaîllée et laissait passer le bout d'un tuyau...
    Tout de suite, le neveu de M. Colerette pensa à la bande du Double-Six.
    - Tiens ! tiens ! songea-t-il. Est-ce que par hasard je serais tombé sur un des petits trucs dont nos adversaires sont coutumiers ?
    Avec des précautions infinies, il se plaça derrière la carcasse, allongea la main et tira de quelques centimètres le tube de caoutchouc. Comme un serpent qu'on taquine, le tube recula vers l'intérieur.
    - Pas de doute ! soliloqua notre curieux. Le pharaon qui loge dans ce sarcophage n'est pas mort depuis soixante siècles. Il est même bien vivant !
    La première pensée de Jean-Jacques fut d'avertir immédiatement le capitaine. La seconde pensée fut toute contraire : "Mieux vaut attendre, pour deux raisons". Ces deux raisons, il ne les formula pas... Le tuyau ne bougeait plus. On n'entendait pas le moindre bruit.
    Avec les mêmes précautions minutieuses, le jeune garçon s'écarta du tas de caisses et sortit du hangar.
    Dix minutes plus tard, il faisait sa rentrée dans l'antichambre du consulat. M. Colerette montait toujours la garde auprès du trésor posé sur la console. Marinon arrivait du côté opposé, venant de la cour. A la vue de son pupille, le détective eut son sourire moqueur :
    - Qu'a dit de ton chef-d'oeuvre Michel-Ange Olivarès ? demanda-t-il ironiquement. Son enthousiasme doit être extrême.
    - Mon ouvrage l'a intéressé. Il l'examine à loisir et me le renverra ce soir à bord, avec un avis détaillé.
    - Je vois cela d'ici ! Le maître a dû te conseiller de poser ta condidature à l'Institut, dans la classe des Arts.
    - Je suivrai religieusement ses indications, conclut Ygrec, abec le plus grand sérieux.
    - Paphusihahasipha 'Vise-à-gauche a dans sa main un double-six), fit Marinon.
    - Hophasiphasahu ? fit Jean-Jacques.(Est-ce un double-six de la première ou de la deuzième catégorie ?)
    - Siphophasihi. (Certainement de la deuzième)
    Encore ce tic des sifflements ! grogna M. Colerette. Vous m'énervez tous les deux.
    - Ma table boîte, dit le garçon. Il faudrait quelque chose de mince pour la caler. Permettez, mon oncle... Ce petit objet que vous avez entre le pouce et l'index conviendrait admirablement.
    - Quel besoin as-tu de caler une table dont tu ne pourras plus te servir, puisque nous partons dans un quart d'heure ? fit le détective, en abandonnant néanmoins le domino.
    - Un peu épais... Un peu long... murmurait Jean-Jacques, assis par terre au pied de la table.
    - Voici un canif, si tu veux, dit Marinon.
    - Laissez ces chipoteries. Cela n'a aucune importance, dit M. Colerette impatienté.
    Sans répondre; notre mathématicien s'excrimait :
    - Je voudrais pourtant bien caler cette table !...
    Il y eut un déclic. Le domino échappa à la main qui le tenait et tomba sur le plancher. La tablette d'os avait pivoté autour de son rivet, découvrant dans l'épaisseur du bois une cavité minuscule, dont sortait un bout de papier.
    - Qu'est-ce que c'est que ça ? demandèrent les deux enfants, avec un air bien ahuri.
    - Ca, triompha le détective, c'est le secret des correspondances entre affiliés de la bande de Monsieur Douze !
    Il ramassa le domino, en tira le bout de papier, sur lequel quelques mots étaient tracés en caractères d'imprimerie. M. Colerette lut tout haut cette phrase singulière :
    - Le steward court et le chauffeur louche.
    - Paphisuhihopha, siffla Ygrec.
    - Hahiphaphasosihu, répondit Citrouille.
    - Héhé ! rit M. Colerette, tout va bien ! Si le chauffeur louche, il ne verra pas clair, et si le steward court, nous courrons plus vite que lui ! C'est bien simple !
    Puis, tirant sa montre et reprenant son sérieux, il ajouta :
    - En route, mes amis ! Voici l'heure de l'embarquement.


    A SUIVRE


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