• le chat de platine
    16


    Serré de près par les bandits, M. Colerette fit en courant deux fois le tour de ce quartier pittoresque. Il ne rencontrait toujours pas un chat.
    Deux ou trois fois, il crut trouver une issue vers le centre de la ville. Ce n'était qu'un passager élargissement des éternelles ruelles. En tournant un coin, le détective entraîné par son élan se jeta sur une personne d'un certain âge, avec laquelle il roula les quatre fers en l'air sur le pavé.
    Promptement relevé, notre héros s'aperçut, premièrement, qu'il avait enfin atteint les confins du redoutable quartier; il était dans une rue large et passante, où se croisaient des tramways; deuxièmement, que la victime de sa précipitation excessive n'était autre que Sidonie.
    La vieille bonne s'ébrouait, en époussetant san cabas.
    - Je suppose que vous alliez acheter de la moutarde pour mes bains de pied, goguenarda M. Colerette.
    - Tout juste, mon bon monsieur. Vous l'aviez deviné. Quelle belle chose que l'instruction !
    - Mon rhume est guéri, après cette folle course. Je n'ai plus besoin de bains de pied. Venez avec moi. Aucun d'entre nous ne doit plus s'écarter du consulat. La guerre avec la bande de M. Douze entre pour nous aujourd'hui dans une phase critique, qui nous contraint de veiller à la sécurité de nos personnes. Même vous, ma pauvre Sidonie, vous êtes désormais en danger !
    - Est-ce Dieu possible ?... Et le canard ?
    - Le canard aussi, conclut le détective en riant.
    Naturellement, les poursuivants s'étaient éclipsés.
    Au Consulat général, c'était la cohue. La bonne fortune du marchand de jouets parisien, connue à Marseille, y avait fait la plus grande impression. Le vestibule était plein de marchands de jouets qui, en proposant au ras des soldats de plom, des panoplies, des boîtes de magicien, espéraient décrocher auprès du seigneur abyssin leur nomination à un poste important.
    Tout d'abord, Lipari-Mahonen voulut recevoir ces solliciteurs. Il les aurait fait asseoir sur des chaises à musique, ou bien leur aurait distribué des diplômes dont les sceaux dissimulaient de merveilleux pétards. Mais les boîtes contenant le petit chemin de fer arrivèrent. Et dès lors Sa Seigneurie n'eut plus d'yeux que pour ces objets enchanteurs. Il en vérifiait le moindre détail, s'assurant qu'ils n'avaient pas souffert du voyage. Quelle joie, lorsqu'il serait possible de déployer le jeu tout entier sur le pont du bateau !
    Le majordome et M. Laitance, bientôt renforcés par M. Colerette, renvoyèrent les marchands de jouets, fort dépités.
    L'un d'eux, comme il sortait, fut hélé par Marinon :
    - Qu'est-ce que cette espèce de corde qui pend à votre épaule ?
    - C'est un lasso, Mademoiselle. Le véritable lasso de Buffalo-Bill.
    - Je vous l'achète.
    Tout l'argent de poche de la pauvre Citrouille y passa. Ravie de cette emplette, la jeune fille prit le palier du premier étage comme terrain d'exercice. Elle visait, avec le lasso, les pommes d'escalier...
    Les marchands, augmentés de badauds en nombre croissant, s'étaient massés devant l'entrée.
    - Il n'est pas douteux, dit M. Colerette aux deux dignitaires, que dans cette foule qui nous assiège, sous couleur de nous vendre ceci ou de nous demander cela, il y ait plus d'un homme de la bande du Double-Six... Voyez ces dégaines suspectes, ces mines patibulaires... En rentrant, tout à l'heure, j'ai cru apercevoir au coin de la rue une tête semblable à celle du "bon vivant". Surtout que le ras ne relâche pas les consignes !... Allons bon ! voilà encore un importun qui se faufile !
    Echappant à la vigilance des argousins, un petit homme maigre, porteur d'un paquet, venait de s'engager dans l'escalier. Le détective s'élança à sa rencontre :
    - Sa Seigneurie ne reçoit pas. Inutile d'insister !
    - C'est que, dit le petit bonhomme maigre, j'avais quelque chose à lui remettre.
    - Nous connaissons cela. Vous êtes deux cents à avoir eu cette idée... Demi-tour, s'il vous plait.
    - Mais que faire du paquet que j'apporte ?
    - Remportez-le, Monsieur. Ou bien faites-en cadeau au premier venu. Nous n'y voyons nul inconvénient.
    - Dans ces conditions, dit le petit homme...
    Il redescendit, assez interloqué, semblait-il. A la porte, on voyait la foule qui l'attendait: une foule où se distinguaient des yeux luisants, des mains tendues...
    Tout à coup, un sifflement retentit. Un anneau tournoyant s'abattit dans la cage d'escalier et cingla le petit homme. Il lâcha son paquet. Le lasso de Marinon se resserra sur celui-ci qui, tiré par le haut, s'éleva rapidement dans les airs. Tout cela n'avait pas duré quinze secondes.
    M. Colerette grimpa quatre à quatre :
    - Citrouille ! tonna-t-il. Qu'est-ce qui te prend ?
    La jeune fille avait l'air contrit :
    - Je m'amusais, mon oncle... Excusez-moi.
    Haussant les épaules, le "cerveau numéro un" prit le paquet, qu'il ouvrit. Une sueur froide lui couvrit le front :
    - Miséricorde ! grommela-t-il, c'était le Chat de platine que je renvoyais !
    Au bas de l'escalier, le petit homme maigre précisait d'une voix aigrelette :
    - J'oubliais de vous dire que je venais de la part du capitaine du port.


    A SUIVRE


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